Plateau Virtuel Club # 2. Décembre, par Marie du Crest
L’émission de Radio Clapas me devient familière avec son générique, le retour des voix de David Léon et de Marie Reverdy. « Une émission de théâtre, fabrique du sens ». « Une pièce, un auteur, une œuvre ». Aujourd’hui, en ce début décembre, il s’agira d’entendre la pièce de Jean Cagnard Quand toute la ville est sur le trottoir d’en face, éditée par Sabine Chevallier (Editions espaces 34). Je retrouve les blocs qui organisent l’émission.
Au début, la voix de l’auteur, vive et chaleureuse. La pièce a été écrite dans le cadre d’une rencontre de Jean Cagnard avec des résidents, des éducateurs dans un centre près d’Alès, spécialisé dans des séjours ouverts à des toxicomanes. Pour lui, au fond, ce qui est en jeu pour les malades c’est un combat contre la mort. Il a écrit selon ses propres termes une succession de tableaux les uns à côté des autres. Sabine Chevallier, son éditrice, témoigne à son tour de sa fidélité à son œuvre, depuis de nombreuses années.
L’auteur se lit : je reconnais le tout début de sa pièce et j’ouvre le livre bleu, p.11 :
Sur le seuil
Je suis sur le seuil
La voix choisit ses intentions tandis que je suis les lignes silencieuses, tourne la page. Les didascalies sont tues et parfois le lecteur de la radio fait des poses. Il avance dans son texte jusqu’à la page 17, là où s’arrête le tout premier tableau. Jean Cagnard a choisi de s’approprier les paroles du résident, de n’importe quel résident. Veut-il signifier qu’il « est de son côté » ? A-t-il été, tout au long de sa résidence en 2009, porté par le témoignage des toxicomanes et moins par ceux des éducateurs. Il n’a pas côtoyé les médecins, les psychologues. Et puis, les premiers mots de la pièce ont été écrits comme des évidences, sans repentir, commente-t-il après sa lecture.
La lecture dirigée maintenant par David Léon auprès de jeunes comédiens de la dernière promotion de l’ENSAD, deux garçons d’abord, Aurélien Millot et Thomas Schneider ; deux filles, Anaïs Gournay et Louise Arcangioli. A la différence de la première émission, David Léon intervient moins souvent, laisse partir le texte. Tout semble d’ailleurs plus en ordre, sans bruit parasite. Des dialogues entre les 2 personnages, peu importe leur sexe : il suffira de féminiser le texte rédigé tout entier au masculin.
Premier extrait qui suit d’ailleurs le passage lu par J. Cagnard des pages 17 à 22. Un moment de déséquilibre du réel : qui est là, que mange-t-il ? Des tomates farcies, des haricots verts ou même du sang ? J’avais lors de ma propre lecture été frappée par cette scène presque fantastique. Les jeunes comédiens ont des voix douces mais il faut leur dire que ce qui est en jeu, à ce moment-là, c’est l’intimité du résident.
Second extrait interprété au féminin donc, un peu plus loin dans le texte (à partir de la page 32). David Léon insiste, il s’agit de raconter une histoire comme on lit un conte : l’histoire de l’enfant qui vieillit en une journée. Là aussi le rôle du résident s’impose. Il ne faut pas aller trop vite surtout, imiter le son de l’onomatopée slurp. La scène de la cigarette scelle la vengeance du résident qui retourne contre l’éducateur la procédure administrative des demandes en tout genre.
Marie Reverdy et Jean Cagnard : dernier regard savant sur la pièce. Non pas Antonin Artaud et son Théâtre de la cruauté, mais écrire en « piquant la viande » comme les injections des toxicos, dit Jean Cagnard.
Finir toujours en musique : l’auteur a choisi le thème composé par Neil Young, du film de Jim Jarmusch, Dead man, pour ses nappes envoûtantes de guitare électrique.
Erratum : l’émission consacrée à un texte de Samuel Gallet (La ville ouverte) sera diffusée en mars prochain.
Prochain rendez-vous en janvier avec Vertige de Patrick Kermann (premier vendredi du mois).
On peut retrouver sur La Cause Littéraire la chronique consacrée au texte en date 16 novembre 2017.
Marie Du Crest
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