Plaise au tribunal, Emmanuel Venet
Plaise au tribunal, La fosse aux ours, mars 2017, 32 pages, 5 €
Ecrivain(s): Emmanuel Venet
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle… Cela rappelle-t-il quelque chose à l’impétrant qui s’aventure dans les lignes de cette chronique ? Et aussitôt chacun de dire mais oui, bon sang mais c’est bien sûr… Mais oui, Prévert, Kosma et Montand ! Qui ne connaît pas ça ?
Eh bien non. Non. Vous faites erreur. Désolé. Les feuilles mortes se ramassent à la pelle n’est pas une chanson. C’est une œuvre artistique, soit, mais ni musicale, ni littéraire. Conceptuelle, sans doute. Et très matérielle. En partie éphémère aussi. Et surtout menacée par ceux qui gèrent le site où elle peut être admirée, le centre hospitalier psychiatrique d’Oublevé. Plus que menacée : détruite.
Créée par Monsieur Rémy Dièse, patient dudit centre hospitalier, elle n’est pas, surtout pas, à confondre avec un simple tas de feuilles mortes diligemment constitué par les personnels d’entretien de l’institution. Le conseil du patient, Me Siddag, entend bien démontrer à l’administration publique hospitalière que les feuilles mortes se ramassent à la pelle relève bien du statut juridique d’œuvre d’art et en cela impose à l’institution un certain nombre d’obligations, à l’égard de l’œuvre ainsi qu’à son concepteur…
Sans forcément s’identifier aux personnages de Kafka, nous avons tous eu à nous plaindre parfois des aberrations de la justice ou de l’administration, jusqu’à parfois nous rendre fous. Ou du moins à nous faire dire qu’il y a là de quoi devenir fou, ou que c’est eux, les « ils » de la paperasse et de la légalité administrative qui sont fous… A preuve les conclusions que Me Siddag soumet au tribunal pour que son client puisse être dédommagé du préjudice subi par la destruction de son œuvre et la décision souveraine de la cour à propos de cette œuvre sise dans un jardin institutionnel, mais non public, antérieurement à son démontage et à son évacuation comme vulgaire déchet organique.
En quelques pages on ne sait plus qui est le plus fou dans cette histoire, tant la logique des arguties juridiques et administratives paraît aussi absurde qu’implacable, rationnelle mais délirante. Totalement rationnelle et complètement délirante. Ou peut-être pas si délirante, tout compte fait… Œuvre d’art avez-vous dit ? C’est-à-dire ?…
Comme toute farce, il se pourrait bien que cette farce-là ne soit pas qu’une simple farce, qu’elle soit plus qu’un grand éclat de rire pour les lecteurs, justiciables et admirateurs d’œuvres d’art que nous sommes tous… A vous de vous faire une idée ! Il ne vous en coûtera que 5 euros et trente pages pour être éclairés. Votre conseil juridique ou votre psy vous prendront beaucoup plus, n’en doutez pas !… Et ils ne vous feront même pas rire !
Sachez tout de même qu’Emmanuel Venet est un psychiatre tout à fait sérieux et qu’il exerce dans un des importants hôpitaux du sud de la France. Il a par ailleurs déjà publié plusieurs titres chez Verdier : Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud ; Marcher droit, tourner en rond ; Précis de médecine imaginaire ; Rien.
Marc Ossorguine
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