Pigeon vole, Melinda Nadj Abonji
Pigeon vole, trad. Allemand Françoise Toraille. août 2012, 238 p. 20 €
Ecrivain(s): Melinda Nadj Abonji Edition: Métailié
Pour paraphraser le titre d’un essai récent, nous pourrions nous demander, à l’issue de la lecture de l’ouvrage de Melinda Nadj Abonji, ce qu’est une intégration réussie pour des immigrés.
C’est d’abord, nous dit l’auteure, encore et toujours une immense souffrance, une déchirure toujours douloureuse. Certes, l’intensité de cette douleur est variable, elle n’en est pas moins une constante : c’est le cas de la famille Kocsis, dont les parents Rosza et Miklos quittent la Voïvodine pour la Suisse alémanique, en compagnie de leurs enfants Ildiko et Nomi.
La province dont ils sont originaires est une contrée d’expression magyare, rattachée à la République populaire de Yougoslavie, puis à la Serbie, après l’éclatement de la Yougoslavie.
L’auteure décrit ainsi les tests et multiples pièges dont un immigrant candidat à une future citoyenneté suisse doit sortir vainqueur ; tests sur la langue allemande, sur l’histoire suisse, l’observance des règles de propreté, dont ce pays est si fier… Elle dépeint magnifiquement l’angoisse générée par la réponse des autorités du pays d’accueil :
« Je n’étais pas depuis longtemps en Suisse, et je me souviens de nombreuses nuits sans sommeil (…) Aujourd’hui encore, j’entends sa voix, suraiguë tant elle était blessée, trois ans, dix mois et douze jours avant qu’enfin arrive l’autorisation d’accès au territoire suisse pour les enfants ».
L’émigration, pour ces gens d’Europe centrale, c’est aussi la suspicion dont ils sont frappés à raison même de leurs origines : « Nous n’avons pas encore un destin digne d’un être humain, nous devons le conquérir à force de travail ».
La famille Kocsis, l’auteure nous le fait découvrir au cours du roman, a été spoliée par le régime communiste dans l’immédiat après-guerre, elle est touchée par l’éclatement de la Yougoslavie, un de ses membres se trouvant enrôlé de force dans l’armée serbe, un autre Papuci, interné dans un camp de travail – il y en avait aussi en Yougoslavie – torturé. Il en fait le récit aux enfants de la famille, puis se mure dans un silence seul capable selon lui de sauvegarder un peu de dignité.
La famille Kocsis est reconnue, intégrée dans la vie suisse, elle possède un restaurant, Le Mondial, dans lequel des Suisses « de souche », les Mueller, les Pfister, Hungerbuehler, Walter et autres citoyens respectables, adoubent, par leurs satisfactions de clients, les Kocsis, ces « Yougos » enfin lavés de tout péché originel, à l’occasion du vote intervenant pour leur naturalisation : « Que ceux qui sont pour la naturalisation de la famille Kocsis lèvent la main ! Un océan de mains se lève ».
L’histoire, tragique, cruelle, n’est jamais loin dans cet ouvrage, elle est l’arrière-plan de cette odyssée des Kocsis. C’est un beau roman sur les potentialités de résilience d’un être humain d’une collectivité, après des épreuves telles que celles décrites dans l’ouvrage de Melinda Nadj Abonji.
Stéphane Bret
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