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Pierre Pachet, Tlemcen, par Léon-Marc Levy

Ecrit par Léon-Marc Levy le 30.06.16 dans La Une CED, Les Chroniques

Pierre Pachet, Tlemcen, par Léon-Marc Levy

 

Au coeur d’un souvenir lointain de ciel bleu foncé, je retrouve Pierre Pachet avec ses yeux, bleus aussi, comme il y en avait peu autour de nous à Tlemcen. Tlemcen, belle cité de l’ouest algérien, où Pierre venait – il devait avoir 22 ou 23 ans - effectuer son service militaire. Plutôt civil en fait, car comme de nombreux jeunes intellectuels français, il avait fait le choix d’enseigner « aux colonies ». Je fus ainsi l’un des tout premiers élèves de Pierre Pachet, qui comptait alors au nombre des plus jeunes agrégés de France.

Nous, les jeunes gars de 3ème B2 du lycée de la ville (curieusement appelé « lycée franco-musulman » faisait remarquer Pierre dans un entretien récent à la Cause Littéraire), nous n’avions jamais vu de professeur si jeune, si frêle, si posé. Il n’eut jamais à élever la voix pour établir son autorité sur nous ; l’assurance de son savoir, la force de sa culture, sa bienveillance souriante mais exigeante ont amplement suffi à prendre la main sur les 43 (!) élèves de la classe, des garçons pourtant solides et volontiers dissipés. Pierre avait un intérêt spontané pour ses élèves et établissait ainsi avec nous une sorte de complicité, presque de classe d’âge (nous n’avions après tout qu’une dizaine d’années d’écart).

Un jour de « composition » de version latine (sorte de partiel de l’époque), juste avant de distribuer les textes à traduire, il nous fit remarquer que seul un élève avait la position physique idéale pour l’exercice : papier de brouillon sur la table, Gaffiot sur les cuisses. Le copain s’appelait Mohammed Dib – homonyme parfait du grand écrivain tlemcénien et, par ailleurs, son neveu. Le jour des résultats, Mohammed était premier. Désormais, toute version latine en classe se ferait Gaffiot sur les genoux.

Pierre ne manquait pas un match de football de notre équipe de classe, qui était championne scolaire régionale. Il venait au stade près du Grand Bassin, plus par amitié pour nous que par passion du foot. On pouvait le voir, souriant et chambreur, sur les travées réservées aux spectateurs. Le lendemain, on avait droit à 10 minutes de débriefing du match en classe, une vraie récréation.

Jeune métropolitain un peu perdu dans une ville « exotique », Pierre cherchait bien sûr à se loger, et nous le fit savoir. Ma tante Julie avait une grande maison dans la Rue des écoles, en plein centre-ville. Elle me demanda de lui proposer une chambre chez elle. Affaire vite conclue : mon professeur de Latin-Français habitait chez moi. Inutile de vous dire que j’en tirai un orgueil démesuré et que j’en espérai aussitôt une bienveillance particulière à mon égard. Cours toujours, j’attends encore.

Ma mère – trouvant que Pierre était un bon parti à marier, se mit en tête de lui trouver femme dans le cercle familial. C’est ainsi que Pierre fut invité à nombre de couscous et autres tafinas afin d’y rencontrer (sans qu’il le sût) « chaussure à son pied ». La persévérance de ma mère ne mena à rien mais ne la dissuada jamais par la suite dans sa vocation de marieuse.

 

Et puis Pierre est rentré en France. Nous aussi – presque en même temps. Seulement les « Français », c’est-à-dire sans les amis algériens, qui restèrent évidemment, enfin chez eux. Un monde s’achevait.

 

J’ai retrouvé Pierre bien des années plus tard. De nouveau comme professeur, à l’université cette fois. Les souvenirs de Tlemcen le faisaient beaucoup rire, et mes bulletins trimestriels du lycée, que je lui avais un jour apportés, l’ont réjoui. « Tendance à se dissiper » disait-il de moi au 2ème trimestre 1960-1961. Puis, au troisième trimestre, « peut devenir un bon élève », alors que j’étais 2ème en orthographe, 1er en rédaction et 2ème en latin. Pierre, et son exigence d’excellence, tellement typique des Juifs askkénazes et tellement loin des jeunes Juifs séfarades. « Quand même, j’exagérais », m’avoua-t-il enfin.

Ses livres faisaient ma joie. Autobiographie de mon père * me fascina et reste encore une de mes références. Sans amour * m’a ému aux larmes, avec ses « fantômes » si précieux :

« Ma solitude est non pas peuplée, mais hantée de fantômes. Pour leur donner la vie qu’ils demandent, dont ils ont peur aussi, je dois donner la mienne, mon souffle, mon sang. Mon attention. »

En 2011, je lui demandai s’il voulait bien – de la façon qui lui conviendrait – participer à l’aventure de La Cause Littéraire qui débutait alors. Après s’être fait bien prier, il m’autorisa à reprendre sa série de chroniques Loin de Paris, parue dans les années 1980 dans La Quinzaine Littéraire. Ce fut pour notre équipe un honneur et un bonheur.

 

Pierre Pachet n’est plus. J’ai voulu ici évoquer une bribe de sa vie, pendant laquelle il a marqué profondément la mémoire des gamins de Tlemcen qui ont eu la joie de l’avoir comme professeur. De sa classe d’alors, il y eut au moins une dizaine d’élèves qui firent des Lettres leur métier – Mohammed, Mustapha, Paul, Abdellatif, Pierre, Serge… Et Léon-Marc qui, sous l’œil pétillant de malice du professeur, découvrit sa passion éternelle, la littérature.

 

Adieu Pierre et merci.

 

Léon-Marc Levy

 

  • *Autobiographie de mon père, Pierre Pachet (Livre de Poche)
  • *Sans amour, Pierre Pachet (Denoël)
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A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /