Pierre Dhainaut ou le pouvoir d'interroger
A propos de Rudiments de lumière publié par les éditions Arfuyen, juin 2013, 11,50 €
Au milieu de l’été qui nous trouve, chacun, pris par la « vacance » et donc ouvert et très sensible aux événements intérieurs, je vous propose quelques notes sur le dernier recueil du poète Pierre Dhainaut, recueil de vers et de prose tour à tour fin et élégant. Cette poésie, outre la langue très délicate et claire – ce qui est bien dans la tradition française depuis Boileau –, est une forme d’adresse à l’intelligence du lecteur, à la fois par le biais de la sensibilité et par l’intellection que l’on peut prêter à la découverte de ces textes. Il en va ainsi de ces réflexions sur la nature, sur la mort, sur l’enfance et les enfants par exemple, qui n’autorisent aucune paraphrase.
Mais, ce qui me pousse vraiment à noter ces quelques remarques, c’est la possibilité que donne l’ouvrage de réfléchir, justement, sur des thèmes aussi graves que la mort, laquelle à ce sujet occupe beaucoup le livre si je ne me trompe. Et aussi, par ailleurs, grâce au talent du recueil à confiner à la pensée philosophique ou la scolastique religieuse – dans le bon sens du terme et avec l’intelligence de l’auteur. A ce sujet, j’avais choisi un autre titre pour cette étude, tiré de l’ouvrage lui-même qui dit en substance : tu n’aurais foi que dans l’abandon. Mais ce titre ne donnait simplement à voir qu’une partie du sentiment qui m’a occupé durant toute cette lecture, ce qui aurait réduit l’amplitude lyrique des poèmes.
Mais pour cerner ce qui me questionne, il faut que j’aille au plus direct pour moi et ce qui a fait le vif intérêt de l’affaire. Laissez-moi citer un vers : Tu prierais, voudrais-tu qu’on te réponde ? Et là, une forme d’interrogation, disons comme en « gigogne » où la prière, qui est un acte de communication spirituelle, en revient à la solitude et au doute religieux en fin de compte, de toute foi, de toute croyance. La peur de ne pas savoir, la peur de n’être pas écouté parce que cette prière est une offrande et ne demande rien en échange, voilà ce qui m’a interpellé. En général, la prière ne cherche pas de réponse à proprement parler, mais elle verbalise une pensée, et s’offre à la réplique, même sans l’espoir de se faire reconnaître comme prière. La lumière du recueil est là à mon sens, dans cette profondeur théologique, mais qui plie quand même dans et par le langage poétique, démarche qui me plaît beaucoup.
De fait, comme je suis un grand passionné d’oxymore, de cette question inquiète de l’adresse vers un ailleurs qui est à la fois comme un apogée et pareillement sans espoir dans le même mouvement, découle une espèce de douleur sereine, ce qui est un paradoxe, et me préoccupe considérablement. Cette question me semble occuper à mon sens une vraie place au sein de cette poésie. Mais, je ne m’arrête pas plus sur ce motif, pour donner à voir ce qui faisait l’objet de ma deuxième interrogation. En effet, c’est au milieu de mon temps de vacances que je rédige ces lignes. Je ne peux donc pas tout à fait oublier que Rudiments de lumière se sont joints à la présence, dans mes lectures, d’André Salmon, et de la Correspondance générale de Verlaine. Et là, outre l’anecdote personnelle, cela sonde un vrai problème, celui de la reconnaissance de l’artiste. Doit-il se faire reconnaître à travers son nom ou à travers son œuvre – sachant que Verlaine fait l’objet d’une étude presque hagiographique, quand Salmon est presque obscur au public ?
Je dis cela en me portant sur un des paragraphes du travail de prose de Pierre Dhainaut, qui recoupe une des toutes premières interrogations de ma vie d’écriture, et qui, sans nul doute, est commun à beaucoup, liée à l’importance de l’œuvre contre celle de la personne. Ne subsistera rien sinon les travaux, et les jours s’enfuiront comme la fleur de l’herbe, vers la cendre, en ne restant que pour peu d’heures dans cette condition. Donc réfléchir sur le Maître de Freising, par exemple, comme l’écrit l’auteur, est très instructif et laisse entendre que Pierre Dhainaut cherche la vérité en poésie, et non l’éclat trompeur des aléas de ce métier de poète sous l’éclat des reconnaissances.
Je m’aperçois que je ne cite pas le livre, et je ne voudrais quand même pas fermer cette rubrique sans laisser au moins le mot de la fin à l’écrivain – ce qui est une coupe bien aléatoire :
Mais ces enfants qui crient
et se réveillent en sursaut comme s’ils avaient soif,
que le sommeil était insurmontable,
quelle est la substance des nuits ?
Nos doigts autour de leurs poignets
peu à peu solidaires.
Lèvres durcies, transmettrons-nous le jour
contre l’insomnie, en comptant les heures ?
N’interromps pas l’écoute :
cette eau ruisselant sous le sable,
cette palpitation pour viatique.
Et encore, car je ne peux m’empêcher :
Oui, nos lèvres s’apprêtent à dire oui sans la moindre réserve, comme chaque année, en ces jours de mars où les forsythias comment à fleurir. Pour le moment il ne s’agit que de quelques branches ça et là en ces lieux ingrats à la sortie de la ville, un échangeur d’autoroute bordé de panneaux publicitaires, mais nos yeux ne voient plus que les buissons encore sombres où s’insinue, où se répand la couleur jaune.
Didier Ayres
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