Philosophie et exégèse, Bernard Grasset
Philosophie et exégèse, Bernard Grasset, éd. Ovadia, coll. Chemins de pensée, juin 2014, 256 pages, 22 €
Une métaphysique de la présence
Quelles sont les valeurs fondamentales de l’humanisme de l’Occident ? Est-il d’ailleurs encore utile de redire en quoi elles sont au croisement de la philosophie grecque, du christianisme, des acquis du Siècle des Lumières et peut-être encore, de la rencontre des nouvelles acquisitions du savoir de la phénoménologie ? En tout cas, le livre de Bernard Grasset abonde dans le sens de cet humanisme, depuis les textes sacrés, en passant par la patristique pour aller côtoyer la peinture ou la poésie contemporaines. C’est donc une entreprise ambitieuse qui s’articule sur un concept nouveau, que l’auteur nomme la philexégèse, et qui décline divers sujets à la lumière d’une réunion heureuse de la philosophie et de l’exégèse.
« La philexégèse se fonde sur une connaissance à la fois existentielle et textuelle. En elle se conjoignent pensée et herméneutique ».
Armé de cette escorte intellectuelle, l’auteur nous mène vers une étude synoptique en quatre grands chapitres, dans un cadre synchronique – la Bible, Augustin, Pascal, Buber par exemple – qui explore les thèmes de la beauté, du temps, de la condition humaine ou du mystère. C’est avec cette dernière partie, qui est plus vive à mon esprit car je viens d’en quitter la lecture, que j’aimerais commencer cette petite chronique. Avec ceci par exemple : Le but de la recherche du mystère reste l’appréhension intuitive de l’être. Et de là, voir en quoi la vision de B. Grasset est duelle, dualité qui convoque la dialectique et qui ne se ferme pas sur elle-même. C’est l’opposition avérée de la mens rationalis et de lamens spiritualis qui occupe l’auteur. Donc il faut se faire le témoin de la coupure au sein de notre humanisme entre le corps charnel et le corps spirituel, entre la nature et la culture, entre l’homme extérieur et l’homme intérieur.
J’ai retrouvé du reste d’anciennes lectures de la philosophie chinoise – sorte de philexégèse avant la lettre. Le mystère dont il est question se rapproche à mon sens du taoïsme et j’ai pris le sens de « mystère » à l’instar du Tao, « la Voie du milieu », quand B. Grasset écrit : Le mystère n’est-il pas ce qui, dans notre finitude, porte l’empreinte de l’infini, et en faire l’expérience ne revient-il pas à intuitionner la présence ?, sorte de Tao à la portée de notre conception occidentale. Le mystère est ainsi à la coupure de l’être avec ce qui lui est supérieur, une présence violente et tumultueuse qui mène à l’acmé de l’esprit qui s’interroge, à l’être – l’essence – qui s’immerge dans la finitude de soi.L’expérience du mystère est une expérience brûlante.
D’ailleurs puisque je parle de mouvement ascendant, le poète, le traducteur de l’hébreu qu’est Bernard Grasset, semble très occupé par les principes de l’acmé, du salut, par le visage ou encore par le destin pèlerin, par la tente, le bivouac qui résume notre condition humaine si précaire et en quête. L’homme, à la fois corporel et spirituel, est un voyageur, un marcheur, un chercheur, dont la vie ressemble à un combat, qui doit apprendre la résistance au nom du bien, du vrai et du beau. Somme toute, nous sommes près de Platon et du Banquet avec cette vision qui attache la beauté à des valeurs morales. D’ailleurs, en pérégrinant dans ma lecture, me venait à l’esprit que cette défense du beau, du vrai, du juste au milieu de notre état voué à la mort, d’hôte pour une simple vie ici-bas, était à l’image d’un feu grégeois, une sorte de combinaison de l’eau et du feu, et je me faisais la réflexion que les quatre chapitres de Philosophie et exégèse auraient pu ouvrir à quatre livres, à quatre opuscules différents – à l’image des quatre éléments d’Empédocle chez Gaston Bachelard.
L’homme séjourne au milieu des figures, des signes. « (…) le réel se déploie à travers les figures (…) ». Nous sommes entourés de signifiants, d’images, de symboles dont il nous appartient de rechercher le sens. Non seulement la nature mais aussi l’histoire sont irriguées de signes. Vivant au milieu des figures, des signes, l’homme est fondamentalement un être de langage. Notre condition fait de nous des interprètes.
Le beau est, au sens de Bernard Grasset, une valeur qu’il faut défendre, et pour ce qui me concerne, je l’associe aux références et questions de l’humanisme. Le beau est une valeur transcendantale, quelque chose qui conduit à la verticalité. L’homme, pèlerin du sens, cherche ainsi la beauté, au sens kantien du terme : Est beau ce qui plaît universellement sans concept, beauté seule capable d’anticiper et de lui faire connaître une partie du mystère de notre existence ici-bas. Il n’y a donc qu’un pas vers la spiritualité, voire le mysticisme. D’ailleurs, je pense soudain que c’est une espèce de situation intransitive à quoi nous convie ce livre, car tout est question d’être ou de mouvement, et se dispense donc d’objet, pour être sujet à part entière. Devant toute beauté, il faut se souvenir de notre mortalité.
Je laisse le futur lecteur, que j’espère susciter ici, à la découverte du thème du temps, de la question du temps traité à la manière de la philexégèse. D’ailleurs, la richesse de cette proposition conceptuelle mérite une attention particulière et soutenue, tout autant pour le premier chapitre sur le temps, que pour les effloraisons intellectuelles dont il est question dans la conclusion du livre. Car les concepts depensexégèse, de philosophèmes, d’anthropologie cordiale, spirituale et mystériale, par exemple, mériteraient une étude en soi, et des développements ultérieurs, car cette lecture de la conclusion est très charnue – sans bien sûr oublier l’aspect religieux, chrétien et inspiré, de cette lecture.
Didier Ayres
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