Petits rituels sacrilèges, Werner Lambersy
Petits rituels sacrilèges, L’Amourier Editions, coll. Ex cætera, 1997, 51 pages, 8,40 €
Ecrivain(s): Werner Lambersy
Curieux ces Petits rituels sacrilèges, « bricolés » par Werner Lambersy, le poète d’Anvers, auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages dont L’éternité est un battement de cils, son anthologie personnelle parue chez Actes Sud. « Bricolés » ne doit pas s’entendre de façon péjorative (le sens moderne figuré valorise d’ailleurs l’idée d’ingéniosité adroite contenue dans le verbe bricoler), bien au contraire puisque le poète l’affirme à l’entrée de ces Petits rituels sacrilèges publiés en 1997 aux éditions de L’Amourier :
« On me laisserait bricoler. Il faudrait éviter de déranger. Que je laisse faire, on me laissera dire. On mettra des lauriers dans la soupe du poète. En chaussant quelques charentaises encore chaudes, en suçant des chocolats glacés de l’entracte médiatique, on donnerait même des onguents pour l’eczéma des vanités, tout en faisant du bon commerce. Voilà, ça aurait dû être comme ça. Ça n’a pas pu, pas voulu, pas-lu-vous. Alors je bricole sans permission, comme on respire ».
En artisan du Langage le poète « bricole » dans l’inquiétude solitaire qui habite et hante probablement tout poète (là pour dire comme le monde ne va pas de soi), en demandant qu’on le laisse tranquille. Que l’on respecte la quiétude qu’il souhaite pour son art d’écrire, en l’occurrence exercer son travail de poète ; qu’on le laisse en toute quiétude bricoler avec l’inquiétude.
On retrouve cette forme de respect à l’origine de tout geste rituel qui ponctue notre appartenance sociétale. Dans ces Petits rituels sacrilèges, les grands thèmes existentiels se déclinent dans une mise en scène et didascalies textuelles qui agissent chacun de nos actes de vie, que l’on en soit les acteurs ou aussi les spectateurs. Le rituel Des funérailles…, Des épousailles…, Des victuailles…, Desrelevailles…, Des jouvençailles…, Des fiançailles mystiques…, Des retrouvailles…, se jouent à l’avant-scène de textes plus réflexifs que dramaturgiques mais de même tonalité liturgique sur De la merveille…, De la conscience…, Du couple…, Des hommes et des femmes…, De l’éveil…, dont les titres renvoient à une sorte de (livre de) sagesse philosophique.
L’image du « temple » de l’amour fait résonner celui-ci de ses pierres luisantes depuis ses fondations. Temple vivant, sans cesse grandi par l’appel et le don de ses offrandes, l’édification et les ramifications de sa « merveille » dans l’éternité, ce battement de cils. Sa force et sa fragilité, sa temporelle durabilité, que chante le poète, sont condensées par cette assertion aux accents liturgiques : « Ceci est la merveille ».
« (…) le temple est comme une tente nomade à remonter chaque soir ! s’il fut bâti avec ambition et de nobles matières, ce n’était pas pour durer ni rester semblable à la momie dans son abri d’orgueil, mais pour honorer le mystère, son ministère fragile et ses pouvoirs incertains. Pas pour qu’une caste se l’approprie, en décrète les règles en imposant des interdits, mais pour goûter à la beauté de ces colonnes qui montent du visible vers l’invisible, passer les marches imprononçables du seuil et sans fin pouvoir errer dans les labyrinthes de ces mots qui mènent à l’autel de l’extase, comme un regard fermé sur son plaisir, même douloureux, et un écrin, même pauvre, pour une chose sans prix ! ».
La beauté de ces textes puise dans une sagesse dont les signes et les paroles esquissent une parabole d’amour pour qui a conservé la foi en l’humanité. Le champ lexical de ce qui ressort au « rite », au rituel, émet des signaux d’incandescence sur nos chemins d’existants en route vers davantage de lumière (notons que le regard et la lumière à portée des battements de la vie sont omniprésents dans l’œuvre de Werner Lambersy) : offrandes, mystère, paroles, louange, signes, symboles, l’espace miraculeux. Comme les vertus et les vices jouent leur ambivalence sur la scène de ces Petits rituels sacrilèges, de la pénombre vers l’éveil : l’Orgueil, la vanité, l’Humilité, la jalousie, l’envie, l’amour…
Sans doute n’est-ce pas par hasard que le dernier texte du livre évoque « celui qui veut écrire et faire de sa vie une écriture (…) ». Se retrouve ici le même vœu de tolérance demandée à l’entrée du livre, vœu de l’écrivain d’être reçu tel par tous, toléré, admis ainsi.
Enfin le texte sur les droits et les obligations des humains, intitulé Des retrouvailles… mériterait une parution à part entière pour ce texte seul, si juste d’une sagesse éprise d’humanité, si retentissant, et dont la prose à la fois riche et concise, dense, exprime la puissance et la singularité de la voix poétique de Werner Lambersy. Nous n’en citerons qu’un extrait, invitant le lecteur à lire le poète dans le texte, en son intégralité :
« (Que les hommes) se réunissent aux solstices et proclament par là qu’ils feront tout pour que rien d’offensant ni de blessant ne vienne ternir cette clarté ; ni le spectacle que nous donnons de nous et du monde, ni ce qui la souillerait et la rendrait dangereuse pour elle comme pour nous.
Que les hommes allument des feux au nord et à l’est, où sont placées les tombes et les stèles disant ce qui fut et ce qui vient, dont ils sont les porteurs désignés à cause de leur force, comme on pose à terre et remet sur les épaules l’arche pleine d’une présence lourde.
Que s’assemblent, au sud et à l’ouest, les femmes choéphores de l’eau et du souffle sur l’eau, qui permettent le passage en assurant le rythme sans lequel tout ne serait que chaos d’avant les origines (…) ».
Murielle Compère-Demarcy
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