Petite Philosophie de l’Amour, Alain de Botton
Petite Philosophie de l’Amour, trad. anglais Raymond Las Vergnas, 318 pages, 7,10 €
Ecrivain(s): Alain de Botton Edition: J'ai lu (Flammarion)A l’heure des réseaux sociaux, il est réjouissant de relire la Petite Philosophie de l’Amour (1993), premier roman de l’Anglais Alain de Botton (1969) : c’est comme s’offrir un bain de jouvence moderne dans une romance d’une époque qui semble à la fois tellement proche et tellement éloignée. Proche par certaines de ses préoccupations, par le mode de vie du narrateur et son aimée, Chloé ; éloignée par le temps et la façon dont il s’écoule, par la possibilité encore offerte de ne pas vivre dans l’instantanéité. Un roman serait à écrire sur l’amour au temps des communications fusant dans l’éther à toute vitesse ; ce n’est pas encore le cas pour cette histoire-ci.
Cette histoire-ci est donc narrée par un jeune homme moderne, qui prend l’avion pour se rendre de Paris à Londres et, contre toute probabilité (le calcul est effectué : une chance sur 5840,82), rencontre une jeune femme pour laquelle il a le coup de foudre. De cette rencontre inopinée naît une romance, racontée à la première personne en vingt-quatre chapitres aux titres programmatiques, puisque l’on va « Du Fatalisme Romantique » aux « Leçons de l’Amour » en passant par « De l’Authenticité », « Du Marxisme » (Groucho, pas Karl) ou encore « De la Peur du Bonheur ». Comme le montre l’intitulé de ces chapitres, cette romance est l’occasion pour Alain de Botton de poser quelques réflexions sur l’amour, sur le couple, sur l’attachement que l’on éprouve envers autrui.
Mais l’auteur déploie pour ce faire un art littéraire certain, parvenant à entrelacer la romance narrée aux parties réflexives : le narrateur est un grand lecteur et ses souvenirs de lecture viennent à la rescousse pour l’aider à décrypter la situation en cours. Ainsi, le septième chapitre, « Fausses Notes », s’ouvre-t-il sur un paragraphe, numéroté comme ils le sont tous, qui rappelle qu’Aristophane, dans Le Banquet de Platon, suggère « que l’être aimé est “l’autre moitié”, depuis longtemps perdue, du corps auquel, primitivement, nous étions attachés ». Suivent quelques lignes sur le mythe des hermaphrodites, d’une clarté et d’une limpidité exemplaires : le lecteur ne se sent pas pris au piège d’une lourde réflexion philosophique, mais a bien l’impression d’accompagner le cheminement intellectuel et affectif du narrateur, qui croise Camus (« Nous courons encore après une illusion d’unité »), Baudelaire pour un poème en prose ou encore Pascal et Nietzsche se succédant dans le chapitre « Le Scepticisme et la Foi ». Vaine érudition ? Non, mise au service d’une relative compréhension du phénomène amoureux, celui qui nous est le plus commun probablement, de ce que la pensée depuis des siècles a de meilleur et de plus pertinent à offrir.
Cette mise au service se double d’une certaine légèreté, voire d’un humour tongue-in-cheek, qui ajoute au plaisir de la lecture, humour dont le sens est d’ailleurs revendiqué comme ingrédient amoureux indispensable dans le chapitre « Amour ou Libéralisme » : « Si mes rapports avec Chloé ne se haussèrent jamais au niveau de la Terreur, c’est peut-être parce que nous parvenions à tempérer le choix entre l’amour et le libéralisme grâce à un ingrédient dont trop peu de couples et moins encore de politiciens amoureux (Lénine, Pol Pot, Robespierre) ont fait usage, un ingrédient qui serait à même (s’il circulait à travers le monde) d’épargner l’intolérance aux nations comme aux individus, j’ai nommé : sens de l’humour ». A ce paragraphe, comme à bien d’autres de cette Petite Philosophie de l’Amour, le lecteur a juste envie d’ajouter en commentaire : « pas mieux », tant il est frappé au coin du bon sens.
Ce bon sens, qui n’est pas moralisme vain, est toujours d’actualité en 2016 ; finalement, l’ère du tout-communicant que semble être le vingt-et-unième siècle n’a jamais que modifié la vitesse, pas le sens. Et certaines vérités sont éternelles, tout comme certaines interrogations – ou en tout cas, si elle ne sont pas éternelles, elles ne datent pas d’aujourd’hui : « Je ne pouvais m’empêcher de réfléchir au fait qu’une femme dont le corps, quelques heures plus tôt, était une zone totalement secrète (à peine suggéré par les contours de son chemisier et les pourtours de sa jupe) se préparait à présent à me révéler ses parties les plus intimes et cela (en raison de l’époque où nous vivions) bien avant qu’elle ne m’ait ouvert les recoins de son âme ».
Explorant tous les épisodes d’une relation amoureuse, du début à la fin, sans pour autant se prendre la tête, ce petit livre, oscillant allègrement entre le roman et l’essai, n’est pas un chef-d’œuvre absolu sur l’amour (pour ça, voir par exemple Belle du Seigneur) ; c’est en tout cas une lecture plus que plaisante, que l’on peut recommander à tout qui, par exemple, penserait que la littérature n’offre aucune consolation. Après, cette personne pourrait lire, du même auteur, Comment Proust peut changer votre vie, et une belle histoire d’amour, littéraire celle-ci, naîtrait plus que probablement. En attendant la suivante, qui pourrait surgir au détour de l’allée d’une librairie.
Didier Smal
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