Petite encyclopédie du génocide arménien, Denis Donikian (par Guy Donikian)
Petite encyclopédie du génocide arménien, Editions Geuthner, décembre 2021, 661 pages, 75 €
Ecrivain(s): Denis Donikian
« A l’origine de ce livre constitué de fiches présida l’idée d’apporter aux profanes autant qu’aux intéressés eux-mêmes, un éclairage précis et fiable sur les événements qui ont préparé, marqué et suivi le génocide des Arméniens en 1915. Comme les travaux universitaires épousant la complexité des faits pouvaient conduire à décourager même les plus curieux, il parut opportun de les rendre assimilables sans pour autant amoindrir leur violence. » Ce sont deux phrases extraites de l’introduction écrite par l’auteur qui précisent la volonté et le contenu de l’ouvrage. Denis Donikian a entrepris la création de fiches, initialement prévues pour Internet, en commençant par celle consacrée au mot génocide. Les fiches se sont ensuite accumulées, abordant les différents aspects d’un génocide demeuré impuni et dont les causes et les conséquences méritaient une approche synthétique.
Que ce génocide demeure impuni plus d’un siècle après pose évidemment questions, mais au-delà de l’aspect éthique qui n’est pas négligé, ce sont surtout les conditions, le contexte qui ont fait l’objet d’un travail minutieux dont la synthèse a abouti à la création de ces fiches. Qu’on s’interroge sur les causes, les conséquences tant géographiques, politiques ou même psychologiques, Denis Donikian donne ici des réponses documentées dont les références sont évidemment données.
Sait-on, par exemple, que le génocide de 1915 a été précédé de massacres de grande ampleur durant la seconde moitié du 19ème siècle et au début du 20ème, comme ceux d’Adana avant la première guerre mondiale ?
En 1895-1896, la période hamidienne a stigmatisé les Arméniens comme infidèles et ingrats, ce qui aboutit aux massacres « dont l’impunité conduira à l’émergence du nationalisme turc et, vingt ans plus tard, au génocide ». Les humiliations endurées par les Arméniens dans l’empire ottoman et les massacres précités vont aboutir à des soulèvements comme celui de Sassoun en 1894, soulèvement sauvagement réprimé par trois mille soldats du gouvernement turc avec la complicité d’Abdul-Hamid. Huit mille Arméniens ont, là, trouvé la mort.
En 1911 paraît à Constantinople aux Éditions Associatives Arméniennes le livre de Zabel Essayan intitulé en français : Dans les ruines, les massacres d’Adana avril 1909. L’auteure rend compte dans son ouvrage de ces massacres en réunissant les témoignages de ceux, rescapés, qui ont vécu la tragédie. « Elle voit littéralement le cauchemar dans le regard de ceux qui l’ont vécu. (…) Livre noir s’il en est, Dans les ruines préfigure les événements de 1915 ».
Plusieurs pages, plusieurs fiches sont consacrées au 24 avril 1915, date retenue depuis pour la commémoration du génocide. La nuit du 24 au 25 avril 1915, « l’acte inaugural du génocide arménien » se concrétise par l’arrestation des intellectuels arméniens les plus en vue, des médecins, des avocats, savants et prêtres, incarcérés à la prison de Mehterhané, puis le lendemain acheminés vers Angora. D’eux on n’aura pas de nouvelles, ou très peu… Les massacres, obéissant à un plan précis, vont se succéder dans la plupart des vilayets, ensanglantant la région. Si des voix s’élèvent en Occident pour alerter l’opinion mondiale, le triumvirat turc sera assuré d’une presque immunité en raison de la première guerre mondiale qui fait régner le chaos.
Les pages consacrées au génocide s’appuient autant sur les recherches d’historiens, et elles sont nombreuses, que sur les témoignages de rescapés, récits autobiographiques, et sur les témoignages d’hommes politiques présents sur les lieux, allemands ou anglais, de religieux également présents et qui souvent ont permis de recueillir les enfants miraculeusement rescapés.
Plus de cent ans après, l’horreur n’appartient pas au passé, les méthodes employées se sont appliquées tout au long du vingtième siècle. Ce ne sont pas moins de 14 pages, qui ont pour titre « Les camps de concentration de Syrie-Mésopotamie », l’expression nous renvoyant de prime abord à la terrible période de la 2ème guerre mondiale. Le gouvernement Jeune Turc a aussi inauguré les transports de masse en wagons à bestiaux, ainsi que des marches de la mort, longues colonnes de déportés dépouillés de tout, et promises à toutes les exactions de hordes de toutes sortes, avec la bénédiction des soldats et gendarmes turcs.
L’après-génocide constitue une part importante du travail effectué par l’écrivain. Des conséquences pour la Turquie négationniste elle-même, évidemment, qui aujourd’hui divisent la société turque, pour l’Arménie telle qu’elle existe et pour la diaspora qui ne peut que réclamer justice à un pays qui a toutes les difficultés à prendre en compte son passé.
Notons enfin que cet important ouvrage, largement documenté, fruit d’une recherche constante depuis des décennies, est aussi largement illustré de photos de l’époque, de certaines plus récentes de la diaspora, des ecclésiastiques qui ont payé de leur vie, et d’une bibliographie qui permet au lecteur d’approfondir tel ou tel aspect du génocide.
Guy Donikian
Denis Donikian vit en région parisienne. Il a publié de nombreux ouvrages tant en français, notamment Vidures, en 2011 chez Actes Sud, qu’en édition bilingue, Les chevaux Paradjanov, du théâtre, L’île de l’âme, la nuit du prêtre chanteur, en 2013.
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