Petit traité de la lenteur, A l’usage des gens pressés, Mathias Leboeuf (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Petit traité de la lenteur, A l’usage des gens pressés, Mathias Leboeuf, Guy Trédaniel Éditeur, Coll. Petits Traités, octobre 2024, 172 pages, 12,90 €
Le dernier livre, Petit traité de la lenteur, de Mathias Leboeuf s’inscrit dans une nouvelle Collection des Editions Trédaniel qui se veut impertinente et à rebours du prêt-à-penser contemporain.
La philosophie a toujours défendu les vertus de la lenteur, cet impératif catégorique de la prise de hauteur, ainsi que le « pas de côté » de la pensée, afin de ne pas se laisser absorber par le tourbillon incessant de l’immédiateté. Nos sociétés modernes ont développé une allergie tenace face à la lenteur, la flânerie, la méticulosité et la pensée critique. La lenteur est désormais associée à la vieillesse, à la coquetterie d’un autre temps, frôlant parfois l’odeur de la naphtaline. « De quoi la lenteur est-elle l’affirmation positive ? ». Pourquoi est-elle devenue insupportable pour la plupart d’entre nous ? Sommes-nous encore capables d’apprécier les belles lenteurs, celles qui sont agréables et enrichissantes ? Serions-nous encore victimes d’une dichotomie inspirée par la philosophie de Platon qui associait « beauté » avec « agilité et vitesse » ? Pourtant, en musique, l’adagio illustre bien la beauté d’un mouvement lent.
Ce livre de Mathias Leboeuf, philosophe et journaliste, se lit paradoxalement vite, « à sauts et à gambades », selon l’expression de Montaigne. Il en ressort des aphorismes percutants pour s’adonner enfin, sans culpabilité et avec délectation, à la lenteur.
La lenteur, sœur de l’extase ?
En s’appuyant sur une nouvelle de Vivant Denon, Milan Kundera (qui a écrit un livre sur la lenteur en 1995) a établi un lien entre la lenteur et le désir, tel que le concevaient les libertins. « À rebours de toute précipitation, la lenteur entretient, cultive et intensifie les désirs jusqu’à leur point le plus ultime. La lenteur est sœur de l’extase ». Les chemins du plaisir impliquent « tours et détours, artifices et délectation ». Ainsi, dans la lenteur, existe un art de cultiver son désir, de déployer le temps autrement, pour atteindre la plénitude. La lenteur enrichit l’expérience humaine, en permettant une profondeur et une intensité accrues. La vitesse ne serait-elle pas finalement une broyeuse de moments intimes et délicats ? Le bonheur peut-il vraiment s’apprivoiser dans la vitesse ? La lenteur nous protège ainsi de la dépendance à la dopamine. La lenteur devient ainsi une transcendantale de la tranquillité de l’âme, une condition a priori du bonheur. Elle permet d’atteindre l’ataraxie, cet état d’exemption du trouble cher aux philosophes antiques.
La nécessité de l’épochè
Accepter d’être un lecteur lent ne signifie pas nécessairement être dilettante ou paresseux… L’épochè, au temps des grecs, incitait à suspendre son jugement pour « déchirer le voile tranquille des représentations » ou comme le suggérait Gilles Deleuze : « Fendre les mots, fendre les choses ». Dans un monde où être pressé est la norme, Mathias Leboeuf voit dans la lenteur une forme de résistance au spectacle. La minutie, qui vient du latin minutia signifie « petite parcelle ou poussière », permet d’être attentif aux détails et aux nuances. Être un lecteur lent revient ainsi à célébrer la finesse d’une lecture minutieuse.
Redécouvrir la flânerie
L’auteur s’interroge sur la disparition du flâneur dans notre société, une figure chère à Milan Kundera et longuement illustrée par Walter Benjamin dans Paris, capitale du XIXe siècle. Savons-nous encore flâner ? La flânerie peut être aussi une sorte de procrastination. La procrastination, souvent mal vue, est pourtant une merveilleuse aide à la créativité. Citant John Perry, Mathias Leboeuf rappelle : « est lent tout ce qui infuse et prend souvent des dérivations, des chemins de traverse ». Même les fulgurances du penseur sont, en réalité, le « produit de forces lentes ». Ainsi, point de génie sans lenteur… Comme le disait Nicolas Boileau dans son Art poétique : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ». L’écrivain, tel un orfèvre, travaille méticuleusement, avec « patience, ténacité, abnégation et humilité ».
Ce Petit traité de la lenteur fait écho à l’Eloge de la lenteur de Carl Honoré (2004), considéré comme un manifeste du mouvement « slow » et cité d’ailleurs dans le chapitre Ralentir, éloge de la lenteur et slow life, mais aussi aux « allorythmes » du livre dernièrement chroniqué dans La Cause Littéraire, A chacun son rythme, Petite philosophie du tempo à soi, d’Aliocha Wald Lasowski (2023).
La lecture de ce livre est comme un adagio qui s’écoute « à l’aise, posément, sans forçage », pour goûter au plaisir retrouvé, non pas d’un temps suspendu, mais d’un temps détendu. Mettre du temps, c’est aussi être maître de son temps…
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
Mathias Leboeuf est philosophe, journaliste et conférencier. Il enseigne également à l’Université permanente de Paris et à l’Institut supérieur du droit. Il est l’auteur chez Tallandier de : Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ; Petite histoire de la philosophie en 32 citations ; et de Plages Philo à l’usage de tous.
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