Petit Maître, Natsumé Sôseki (par Philippe Leuckx)
Petit Maître, Natsumé Sôseki, Points, février 2022, trad. japonais, René de Ceccatty, 288 pages, 8,60 €
Ecrivain(s): Natsume Sôseki Edition: Points
Ce roman a paru en 1906. Le romancier Sôseki avait alors 39 ans. « Botchan » est le titre original.
Un jeune professeur quitte Tokyo et sa vieille servante et amie Kiyo pour un collège de province, dans une ville reculée. Il y donnera des cours de maths, au milieu d’un corps professoral haut en couleurs, où les inimitiés et les jalousies font la part belle : on y trouve de vieux professeurs comme Koga, un censeur, Tricot rouge, des collègues plus sympathiques comme Porc-épic et des imbuvables comme Cabot ou le Blaireau, directeur de l’établissement.
La province, c’est aussi des logeurs et logeuses qui vivent en louant des gourbis à ceux qui viennent de la capitale.
La province est un monde, tout à fait étranger au nouvel arrivant qui y voit des usages inconnus de lui.
Les élèves sont difficiles, toujours prêts à faire des mauvais coups, toujours prêts à chahuter le nouveau professeur ou à faire le chambard le soir dans les dortoirs.
Botchan est sans doute mal préparé à cet univers à mille lieues de sa formation.
L’art de Sôseki est de nous initier à ce monde, en décrivant au plus près le collège, les logements, les hôtels de passe où sévissent les geishas.
Le roman est très moderne dans la façon de suivre le personnage principal, antihéros naturel, qui tente d’échapper à cette gangue provinciale. L’amitié de Porc-épic et les événements de la fin du roman vont décider de son avenir.
Petit maître est à la fois un livre caustique sur la province et les collèges où règnent convoitise, jalousie, un roman psychologique puissant sur un être mal préparé à sa carrière, et enfin un tableau d’époque, hallucinant de réalisme.
Les séquences sont bien amenées et le lecteur a le temps de suivre pas à pas Botchan dans sa découverte de cette ville de province, coupée du monde.
Le narrateur décrit superbement les états d’âme qui le traversent, les failles qu’il ressent, mais aussi cette vigueur à vouloir malgré tout changer les choses, fuir les conventions, atteindre enfin à sa propre vérité.
L’initiation est double : le narrateur commence une carrière et dans le même temps découvre son apprentissage d’adulte, confronté à la moquerie, à la jalousie, au harcèlement.
La langue de Sôseki est souple pour nous emmener loin dans la conscience du personnage, et nous amener à réfléchir sur la fonction de professeur dans un monde perturbé par certains usages.
On sort du roman, ébloui par la sagacité du romancier, cet art subtil et moderne qu’il développe pour nous plonger dans un univers tissé de complexités et d’avanies.
Un très grand roman, en avance sur son temps.
Philippe Leuckx
Natsumé Sôseki (1867-1916), romancier japonais, parmi les plus célèbres, est l’auteur, entre autres, de : Je suis un chat ; Oreiller d’herbes ; Les herbes du chemin ; Loin du monde.
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