Pertes humaines, Marc Molk
Pertes humaines, Editions Arléa, septembre 2006, 124 p, 13 €
Ecrivain(s): Marc Molk
Ceci est un inventaire. Page après page, fiche après fiche ainsi que l’auteur désigne ces courts chapitres, sont brossés les portraits d’êtres plus ou moins chers, plus ou moins proches, qui pour une raison ou une autre sont sortis de la vie de Marc Molk. Davantage que l’individu, c’est la relation de l’auteur avec lui qui est présentée, analysée de façon volontairement non objective. Chaque fiche est assortie de données quantitatives – le coefficient de perte, la part de responsabilité de l’auteur et ses chances de renouer – comme pour mieux hiérarchiser des conditions de rupture ou de désagrégation qui échappent à toute logique (ou pas).
« Elle décida de me démissionner, dernière touche apportée à son œuvre de promotion sociale. J’accueillis la décision de la direction avec le soulagement d’un employé dont la tâche représentait déjà, depuis bien longtemps, une corvée déprimante » (page 79).
Remords, regrets, excuses a posteriori sont rassemblés dans ces portraits en creux qui prennent la forme de nouvelles aussi brèves que tendres ou corrosives. L’amitié notamment, ce lien sacré dont la dissolution est parfois plus mystérieuse encore que l’amour, est disséquée en phrases à tiroirs, métaphores et révélations implacables.
« Il y a des gens comme cela qui savent de vous des choses si fondamentales qu’ils en tirent un ascendant sur le reste de vos jours dont il est nécessaire de se tenir éloigné » (page 91).
« Quand la radinerie, lancinante, finit par devenir un style de vie que l’on ne cherche plus à dissimuler, ni même à excuser, l’esprit d’économie se met tout seul à retrancher nos sentiments. On prive ses amis d’affection pour s’éviter des dépenses courantes qui vont d’un café en terrasse à un dîner de réveillon » (page 101).
Marc Molk fait montre d’une bonne dose d’autodérision qu’il parsème ça et là d’un soupçon de mélancolie. Il met en scène un détachement que l’on imagine nécessaire à l’élaboration de ce recensement. Car l’on n’envisage pas un instant que les relations interrompues dont est fait ce recueil ne soient pas vraies : les patronymes tronqués – interrompus eux aussi, qui ne sont du moins pas menés à leur terme – en tiennent lieu de garants.
« De tous mes remords, j’ai fait un baluchon que j’ai jeté du train » (page 117).
Loin d’être seulement les confessions de son auteur, ce petit livre, particulièrement inspirant, donne à penser sur ses propres relations avec ceux qui nous entourent tant qu’il en est encore temps – c’est-à-dire avant que ne sonne l’heure de l’inventaire personnel de nos Pertes humaines.
Sophie Adriansen
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