Pays sans chapeau, Dany Laferrière
Pays sans chapeau, août 2018, 257 pages, 9,95 €
Ecrivain(s): Dany Laferrière Edition: Zulma
Un instant en chassant un autre, drôle d’ouvrage que ce mea culpa haïtien 100% made in Haïti à mi-chemin de l’enquête mystico-socio-culturelle et du journal de l’enfant prodigue rentrant au pays après un détour de vingt années passées en Amérique du Nord, projet qui, de digression en digression, semble dériver au fil des pages au profit de séries intempestives de conversations ménagères comme autant de scénettes naïves légendées à la mode haïtienne formant patchwork jour/nuit, « pays rêvé »/« pays réel » : « La valise », « Le taxi », « La nouvelle maison », « Les objets », « Le vrai repas », « La toilette », « Du sucre », « Carottes », « L’eau chaude »… Comble de l’affaire, Dany Laferrière, son auteur, « écrivain primitif » (sic) consacré « nouvel immortel de l’Académie française » en 2013, l’homme du « pays sans chapeau », s’avère être, renseignements pris, un homme à multiples casquettes.
Cet écrivain prolixe couronné sur le mode un livre=un prix, auteur, parmi d’autres livres-évènements,d’un « roman dessiné » écrit à la main, Autoportrait de Paris avec chat, né à Port-au-Prince en 1953, immigré au Québec en 1976, est aussi un journaliste et chroniqueur télé que la situation politique de son pays a poussé à l’exil et qui a fait carrière – excusez du peu – à Montréal, à New York et à Miami. Ceci explique sans doute cela : cette affection sans limite pour les faits et gestes et les paroles, ce goût prononcé pour le micro-trottoir, ce penchant pour l’observation, les micro-portraits qui en découlent par mille détours de vents de paroles, cette absence décomplexée de style : « j’écris comme je vis » revendique ailleurs cet auteur cosmopolite qui en offre ici une démonstration éclatante, soit un livre d’instants périssables absolument bavard aux accents créoles résolument incarnés dans la matière.
« Je n’écris pas, je parle. On écrit avec son esprit, on parle avec son corps. (…) J’écris tout ce que je vois, tout ce que j’entends, tout ce que je sens. Un vrai sismographe (du) trop-plein. (…) Tiens, un oiseau traverse mon champ de vision. J’écris : oiseau. Une mangue tombe. J’écris : mangue. Les enfants jouent au ballon dans la rue parmi les voitures. J’écris : enfants, ballon, voitures ».
Pourtant, à Haïti, « corps réels », « corps rêvés », « corps transparents » ou « corps projetés », « la moitié des gens que vous rencontrez dans la rue sont ailleurs en même temps » : cela promettait une belle histoire à dormir debout que celle qui consiste à vivre dans deux mondes à la fois, un projet fou, « de dieux, de diables, d’hommes changés (la nuit) en bêtes », « la nuit, ce sont des bizangos (…) et le jour, des zenglendos », l’histoire vaudou d’une armée de zombies et d’un « (écrivain)-reporter au pays sans chapeau », celle d’un séjour express dans l’au-delà qui, pour finir, nous laisse sur notre faim, à double-titre : « Les dieux m’ont déçu (…) Je vais faire mon livre malgré tout, mais je vous avertis que ce n’est pas avec ce ramassis d’anecdotes ternes, de clichés imbuvables que les dieux du vaudou se feront une réputation internationale »
« Nègdayi ap kache-w manje
men yo pap kache-w pawol ».
« L’Haïtien ne t’offrira peut-être pas à manger,
mais il sera toujours à ta disposition pour parler ».
Avis aux amateurs : Dany Laferrière écrit aussi des livres pour enfants.
Carole Darricarrère
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