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Pavillon Moïana, Gilles Ortlieb

Ecrit par Jean-Paul Gavard-Perret 16.03.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Fata Morgana

Pavillon Moïana, février 2018, 40 pages, 10 €

Ecrivain(s): Gilles Ortlieb Edition: Fata Morgana

Pavillon Moïana, Gilles Ortlieb

 

L’essence de la littérature est d’être obsessionnelle. Mais cette obsession n’est pas forcément celle du plaisir mais de la nécessité. Ortlieb crée ici dans un « présent gnomique », un soliloque hommage au frère. Hommage n’est d’ailleurs pas le mot : il s’agit plutôt d’une longue descente dans les affres de l’agonie. Nulle contemplation pour autant. Ortlieb permet d’entrer en ce qui ne se pense pas vraiment : non que les douleurs soient muettes mais intransmissibles : elles se constatent c’est tout.

Il se peut que pour l’exorciser, l’auteur reconstruise quelque chose du passé qui l’obsède. « Extériorisée » la douleur du mourant et de ceux qui l’accompagnent, ne laisse pas le lecteur en un état de passivité. Ni indemne. Si c’est le cas cela est grave. Car la réalité de la douleur se touche ici  travers la chair et jusqu’aux « os » quasi visibles à mesure que la vie s’efface.

Face à cette présence de l’inconcevable, Ortlieb confronte le lecteur au cœur d’une émotion aux dimensions terribles, là où l’illusion n’est plus possible. Le sac de « peau » montre sa pâleur intérieure au moment où l’échange devient sourd, indicible. Pour l’exprimer, le langage est ramené lui aussi à sa fibre. Il ne supporte pas d’effets de style. Aucune métaphore. Ortlieb sait qu’elle ne soigne rien, ne cautérise pas la plaie du réel.

La poésie a ici mieux à faire ou « pire » : elle taraude, creuse, et rend palpable la détresse de l’âme et du corps. Cependant il existe dans une telle écriture un acte d’autorité. Ortlieb y impose un acte de piété fraternelle et renvoie à une conception tragique de la vie. Comment pourrait-il d’ailleurs autrement en de tels moments ? Lorsque la maladie mutile le vivant, décapite et immole le frère, l’écriture devient celle du désastre et de la dépossession. Mais pas forcément celles esquissées par Blanchot. Elles sont ici – et si l’on peut dire – plus « vivantes »…

La mort n’est plus latente : elle devient charnelle à mesure que l’espérance vitale est exsangue. Dès lors à celui à qui poserait la question : Qu’est-ce que le « sujet » dans l’œuvre d’Ortlieb ? il sera répondu que le sujet est avant tout l’écriture elle-même. Mais dévorée par la mort dévorante évoquée sans ascension lyrique. Comme l’amour elle s’approche de quelque chose d’essentiel. Celui que l’auteur éprouve pour son frère demeure l’ultime rempart et tout ce qui reste afin de répondre à l’injonction de Daniel Rops : « Mort où est ta victoire ? ». L’auteur est oublié mais sa question irrécupérable.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 


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A propos de l'écrivain

Gilles Ortlieb

 

Gilles Ortlieb est un poète, prosateur, essayiste et traducteur français né en 1953 au Maroc. « Rentré » en France dans les années soixante et après des études de Lettres classiques à la Sorbonne puis du grec moderne à l’Institut des langues orientales, vit de travaux divers (marionnettiste, gardien de nuit, traducteur indépendant, enseignant, etc.), avant et après son service militaire en Allemagne puis il entreprend de nombreux voyages vers la Grèce et en Méditerranée. Ses premiers textes sont publiés dans la NRF en 1977. Entré dans les services de traduction de l’Union Européenne en 1986, il vit depuis lors à Luxembourg.

 

A propos du rédacteur

Jean-Paul Gavard-Perret

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Domaines de prédilection : littérature française, poésie

Genres : poésie

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Fata Morgana, Unes, Editions de Minuit, P.O.L


Jean-Paul Gavard-Perret, critique de littérature et art contemporains et écrivain. Professeur honoraire Université de Savoie. Né en 1947 à Chambéry.