Partage de la nuit, Patrick Devaux (par François Baillon)
Partage de la nuit, Patrick Devaux, Ill. Catherine Berael, 70 pages, 16 €
Edition: Le Coudrier
Nous voici dans un moment où notre conscience se laisse glisser vers un autre niveau du monde, à moins qu’à l’inverse elle n’ait enfin le moyen de s’éveiller pleinement à ce monde. Nous voici dans ces instants déterminants où l’aube est sur le point d’apparaître, où le crépuscule est si bien installé qu’il nous place dans le mystère et l’expectative, qu’il nous invite à une observation plus minutieuse de l’espace, qu’il nous met face à quelques questionnements centraux.
C’est l’impression qu’apporte ce très délicat Partage de la nuit de Patrick Devaux qui, dans une langue poétique aussi épurée que suspendue (la disposition graphique elle-même semble faire état d’une suspension, suspension du temps, suspension du geste), nous emmène au sein d’une oscillation entre ombre et lumière, nous conduit à cette frontière incertaine où tentent de se rencontrer le jour et la nuit, où le jour et la nuit s’essayent à un partage des éléments.
Alors surgissent un souvenir piquant (« un insecte s’approcha / d’une douce flamme mais dangereuse / tu l’écartas d’une main d’adieu / en plein été », p.38), des tableaux ciselés dans un temps figé, comme enveloppés d’éternité (« tel un rai de lumière / dans un noir tableau de Soulages / un modeste verre d’eau / suffit à ameuter / toute luminescence », p.26), un lien plus prégnant, plus direct avec l’univers (« pure et belle / nuit étoilée / qui / costumée de galaxies / ressemble à / un jardin à la française », p.13). On peut considérer avoir devant nous une forme parente du haïku, l’expression y est réduite à l’essentiel : grâce à l’effleurement de mots choisis dans leur pure nécessité, avec une grande poéticité, Patrick Devaux parvient à nous en dire beaucoup, et à nous suggérer beaucoup. Du reste, le rapport à l’écriture s’offre ici comme un leitmotiv, avec « ce carnet / d’où je vous écris » qui ponctue régulièrement cette nuit des partages ; et en filigrane, résonnant depuis des strates plus lointaines, comme exprimé à demi-mot, se révèle le manque d’une personne, voire de plusieurs personnes (« l’aube s’approche / qui doucement / se souvient du prénom des fleurs / coupées dans le vase / des amis disparus », p.33). Ce recueil est donc aussi un partage entre le silence et les cris, tel qu’a pu nous l’annoncer le vers mis en exergue d’Yves Bonnefoy : « Le silence est comme l’ébauche de mille métamorphoses ».
Ajoutons que les œuvres de Catherine Berael s’associent parfaitement à l’esprit de Patrick Devaux : l’artiste y fait la part belle aux perspectives en intérieur et aux lumières blanches obliques, y mêlant des couleurs et des éléments avec un regard qui enchante. Car en définitive, comme nous le rappelle le poète lui-même, « nous sommes tous des morceaux du soleil ».
François Baillon
Patrick Devaux est né en Belgique. Auteur d’une trentaine d’ouvrages auprès d’éditeurs divers en poésie, quelques prix d’édition, 3 romans parus dont 2 aux éditions Les Carnets du Dessert de Lune. Membre de l’AEB (Association des Ecrivains Belges) et de l’AREAW (Association Royale des Ecrivains et Artistes de Wallonie), il fréquente de près ou de loin les écrivains du groupe de l’Ecritoire d’Estieugues de Cours la Ville, et de l’Association Littérales de Brest. Publie également dans diverses revues de poésie et fréquente les réseaux sociaux, cherchant ainsi à faire connaître des poètes peu connus ou disparus.
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