Paroles des forêts, Pascal Mora
Paroles des forêts, éd. Unicité, 2015, 14 €
Ecrivain(s): Pascal Mora
Une poésie végétale
La poésie de Pascal Mora nous entraîne dans un voyage intérieur, une sorte de plongée en apnée dans le monde végétal de la forêt, comme si l’espace de cette poétique était saturé, plein, presque phobique. Et cela est une qualité, car on ne quitte pas cette espèce de plongée nue qui nous conduit à travers des paysages forestiers, pour finir ou presque dans « un antre au bord de la bible ». On respire ici un air raréfié, confiné à quelques éléments benthiques, dans une vision obnubilée par la frondaison et la croissance végétale. On peut lire cette épopée un peu comme on lirait Walt Whitman, à cause de ce débordement lyrique, de ce texte qui déborde presque littéralement, qui se repaît de la pluralité des lieux vacants de Bénarès à Jérusalem, de forêts de feuillus, de persistants ou d’épicéas, ou encore, plus rarement, de quelques fruitiers.
Je vois de mes yeux oiseaux
Enfin arriver le pied du chêne au sommet
D’une colline de joie,
Enfin dévaler les torrents renaissants, légers et bondissants
Dont la nuée recouvre les cités d’or
Au milieu des lacs tranquilles.
Mais au-delà de la simple visite sylvestre, c’est à la naissance d’une langue que nous assistons, un univers de mots-valises qui saturent le sens du texte – atomes paroles, jardin vallées, arbre noël, montagnes arc-en-ciel, grillons essence du son, etc. – et fait avancer la compréhension du lecteur comme en une navigation en eaux profondes, dans une sorte de langue subaquatique.
L’ours est le vent du Nord qui descend du feu noir
Le lion et le vent du Sud qui monte du feu brillant
Le léopard et le vent d’Est qui a pour fontaine le pur éther
Et le vent d’Ouest procède de l’air aqueux.
Whitman, donc, peut-être, ou encore Saint-John Perse pour cette poétique dense et saturée, pleine, obsessionnelle, peuplée d’images fortes, ou encore de mots difficiles (comme les aimait le Parnasse). C’est ainsi qu’il y aurait des sortes de plans panoramiques, comme on en connaît quand on a voyagé en avion au-dessus de l’Amazonie, et son peuple vert, illimité et qui semble infini. Donc, l’art pour l’art comme la forêt se pense comme forêt et rien d’autre.
Mémoire des cités grecques,
Les amphores remplies d’esprits accostent à Empúries,
Phocée,
Sur le sol les mosaïques d’Asclépios
Sortes de médecines visuelles prescrites aux hôtes
Voyageurs.
Et l’âge médiéval,
Châtellenies derrière l’épaisseur des remparts aigles
Survolant les âges d’homme en accomplissement.
Voyage immobile dans la chair de l’arbre, voyage dans la langue, voyage dans l’imaginaire de la forêt, où toute agitation personnelle se meurt au profit d’un vertige de la saturation. Ce livre a paru en 2015, et l’auteur s’occupe aujourd’hui de faire ce même travail dans la ville (qui est peut-être au sens propre une jungle touffue et signifiante). Toujours est-il qu’une partie du recueil quitte les bois pour la grande ville, ce qui laisse présager de ce qui doit venir.
Didier Ayres
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