Paris sous la terre, Pérégrinations dans le métro parisien, Solange Bied-Charreton (par Catherine Dutigny)
Paris sous la terre, Pérégrinations dans le métro parisien, octobre 2021, 192 pages, 15,90 €
Edition: Les éditions du Rocher
Dans son essai Paris sous la terre, Solange Bied-Charreton nous livre au travers d’un petit journal de bord écrit sur un an, de l’automne 2017 à l’automne 2018, ses réflexions, impressions lors de ses pérégrinations volontaires dans le métro parisien. Elle observe, note, hume, renifle, écoute, se remémore les trajets de son enfance et de son adolescence, les compare à ce qu’elle vit, le stylo à la main, alors âgée de 35 ans. Quelques brèves notes historiques, littéraires, musicales, cinématographiques, architecturales, ponctuent ses déambulations pédestres car ces multiples parcours empruntent non seulement les diverses lignes du métropolitain mais ses innombrables couloirs, escalators, tapis roulants, escaliers aux marches bordées de métal agressif.
La marche, exercice indispensable à celle qui tisse sa toile sur un réseau aux multiples échangeurs, bifurcations insolites, nœuds ferroviaires, stations tentaculaires où viennent se croiser, se mélanger, se coudoyer, se perdre, s’ignorer, des êtres de tous horizons, de tous âges, de toutes confessions, le temps d’un trajet professionnel, d’un rendez-vous à l’autre bout de la ville, d’une partance à venir vers des lieux de vacances ainsi que leurs retours.
Parfois, comme si cette plongée sous terre devenait trop oppressante, l’auteure pointe le nez à la surface. Envie de prendre un verre à l’heure de l’apéro, de grignoter un encas dans un bistrot sympa loin de la faune souterraine, du crissement d’une rame, de faire une halte dans une librairie, un détour au cœur de la vie ordinaire. Il faut ces diversions ou emprunter les lignes aériennes pour retrouver son souffle, apaiser les battements de son cœur, après avoir parcouru et disséqué les nœuds ferroviaires de Montparnasse ou de Châtelet-Les Halles, là où « le contraste entre les références médiévales d’un quartier millénaire et le concept du fast-food décliné pour du café servi dans un gobelet en carton, dont les instigateurs hèlent le client par son prénom, résonne comme un choc esthétique, un clivage anthropologique » (p.33).
Pour recouvrer aussi un peu de poésie on ira se perdre avec elle dans les méandres de la 3 bis et de la 7 bis, ces deux minuscules lignes qui « comme deux cours d’eau en dormition qu’on prend garde de ne pas trop réveiller tant nous sommes avares, dans le métro, de tout qui semble établi par défaut, pour l’isolement, le secret et pour la solitude » (p.41).
Celle qui s’adonne à la satire sociale dans ses romans, on pense en particulier aux Visages pâles, trouve dans les entrailles de la capitale un terrain de choix pour brocarder, l’œil souvent sec, les usagers dans le chapitre Pionologie, « On est toujours le seul passager qui porte un prénom, le seul vivant à juger les pions. On s’aime mieux que les autres quoi qu’on nous inculque, en cas de catastrophe c’est notre corps qu’on choisira de sauver ou de mettre à l’abri avant celui du voisin ». Les populations du métro dans le chapitre Autochtones y sont recensées avec la méticulosité d’un entomologiste et un soupçon d’empathie au détour d’une robe de femme syrienne, d’un groupe de Roms massacrant le répertoire d’Edith Piaf. Quant au chapitre intitulé Allocthones, il démontre à l’envi la quasi-impossibilité de classifier, en dépit des apparences et des comportements, de ranger tous ces usagers « dans un bac à jouets comme des Playmobil, à la place adéquate » (p.96).
Dans les stations les époques se succèdent, se superposent, s’affrontent dans un désordre souvent ubuesque. Changer de ligne peut signifier changer de siècle, la RATP hésitant parfois entre la conservation d’un patrimoine et la volonté de coller à son temps, voire d’innover ou de parier sur un futur qui se démode d’autant plus vite qu’il est déconnecté de la réalité et ne fait pas forcément rêver les usagers sur les quais bondés aux heures de grande affluence. Un lieu où tout bouge et où tout reste immobile, un lieu où le comique et le tragique se jouent parfois au quotidien.
Le livre de Solange Bied-Charreton est l’anti Grande Histoire du métro parisien de Clive Lamming ou peut-être son complément, son pendant éphémère, comme une suite d’instantanés perçus par une jeune femme métrophile jamais lassée par « ce lieu à la fois public et secret, strident et silencieux, anonyme, peuplé, hors des normes sociales ».
Une déambulation riche et prenante qui séduira, au moins par sa lecture, jusqu’aux plus rétifs à emprunter ce transport en commun.
Catherine Dutigny
Journaliste et romancière, Solange Bied-Charreton, née en 1982, a collaboré à plusieurs organes de presse, notamment Libération, Causeur, Panorama, Le Point et le Figaro. Et publié trois romans chez Stock : Enjoy (2012), Nous sommes jeunes et fiers (2014), et Les Visages pâles (2016).
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