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Paris par cœur, Ludovic Janvier

Ecrit par Philippe Leuckx 10.09.16 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Récits, Fayard

Paris par cœur, mars 2016, 352 pages, 19 €

Ecrivain(s): Ludovic Janvier Edition: Fayard

Paris par cœur, Ludovic Janvier

 

Dix-neuf livres publiés de 1964 à 2016 : le parcours du romancier, essayiste et poète Ludovic Janvier l’aura conduit à écrire sur Beckett (deux essais), à nourrir nombre de poèmes pour des livres parus chez Seghers, Gallimard, à évoquer aussi son amour d’autres auteurs comme il le fit pour présenter Pavese et son Bel été (comment oublier ses phrases en 4e de couverture du volume de la collection L’Imaginaire : « L’art de Pavese est de travailler une matière tout en éclats, les éclats douloureux de l’unité mythique à jamais perdue » ?).

Son ultime livre est un hommage à Paris, tout en éclats aussi. Oui, dernier livre de son auteur, puisqu’il nous a quittés, en ce 18 janvier 2016. Paris par cœur ou 273 manières de l’aborder, selon l’abécédaire classique. Mais rien de moins classique, ici, dans les évocations, ni dans les quelques enluminures qui s’insèrent dans la trame de l’ouvrage : citations de poèmes et/ou de chansons chéris par l’auteur (Piaf, Souchon, Fargue, Apollinaire, Carco etc.)

L’émotion tremble et le styliste (et quel prosateur, grands dieux de l’écriture !) aux aguets veille au grain : ni enflure ni emphase, mais le mot juste pour dire, au fil des mentions de lieux, de personnages ou de références parisiens, l’amour, la résonance, la plainte, la drôlerie, l’ironie fine, le départ d’un cordonnier de 74 ans (et l’ombre de son fils attardé), pour invectiver en toute simplicité celles et ceux qui ont nourri la guerre des genres (Musique légère), qui osent tendre des filets de haine entre les filets de voix (contre ou pour Mozart, Dario Moreno ou Boulez, dans un beau désordre des goûts)…

Mais sous la marche précise, lente, récurrente et connue du promeneur-piéton de Paris, il y a le plaisir d’énoncer le fait divers tragique ou drolatique (le poignardé célèbre, Beckett, rendant visite en prison à son poignardeur, p.236) ou encore de faire partager des aphorismes glissés impromptus dans le fil du texte (Naissance) : « Il serait temps que tu te rejoignes ». Il sort de l’anonyme cliché un Giacometti (p.114) « deux fois mémorables », « sur lequel il aura plu deux fois ».

La mémoire heureuse du cinéma, des seconds rôles aux trente-sixièmes couteaux (comme en parlait si bien le regretté Chirat), donne du relief à ces chroniques du temps marché, passé (Reconnaître).

L’auteur n’hésite guère à s’auto-portraiturer, même en se moquant allègrement de son désir d’éblouir : le voilà donc, rue de Maubeuge, en djellaba, fringué pas possible, même pas ridicule.

C’est souvent un passant sensible, parfois près de pleurer, qui signale (Clodos) l’« impitoyable Paris aux généreux », « aux lyriques », et qui rappelle le destin effrayant d’un SDF, à qui des « connards ont offert » deux bouteilles de martini pour mieux mourir ! Janvier n’est jamais aussi juste que dans ces portraits d’inconnus jetés dans le réel de ses balades comme piécettes d’une sébile. « Tout fouleur de ciel » : l’humour du poète-piéton, noir (Montparnasse) : « me voilà à trois cents pas d’où je suis né. Meurs à Cochin, et tu boucles la boucle » ou « Renversé les yeux fermés dans un fauteuil au Luxembourg par n’importe quel jour d’avril ou mai s’il fait soleil, après la fameuse extraction d’il y a longtemps suivie de mes détours et conneries, est-ce que je n’ai pas l’air d’un vrai miracle ? (Miracle) On le croirait réincarné en Arletty sur le Pont de l’Hôtel du Nord, avec gouaille.

Mais l’on retiendra Le cœur serré : notice dont « la litanie » est de toute beauté :

« le cœur serré pour l’amour absent

le cœur serré par le temps qui passe

le cœur serré par le jamais plus »

N’empêche, cet artiste dégoteur des beautés de la ville sait aussi dégommer, en brillant anal(yste) (Tubes et tuyaux) la laideur de Beaubourg ou précipiter en Corse le retour du corps du vil Napoléon : « un criminel d’Etat de cette envergure ».

Bref, un abécédaire à consommer sans modération, en hommage à un écrivain styliste de haut vol, riche de mémoire vive et d’empathie humaniste.

 

Philippe Leuckx

 


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A propos de l'écrivain

Ludovic Janvier

 

Ludovic Janvier est un écrivain français, né en 1934, décédé en 2016. Il a écrit dix-neuf livres : poèmes, essais, romans et nouvelles. Quelques titres : Pour Samuel Beckett (1966), Entre jour et sommeil (1992), et La confession d’un bâtard du siècle (2012).

 

A propos du rédacteur

Philippe Leuckx

 

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Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise

Genres : romans, poésie, essai

Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...