Parade Jeunesse d’Eternité, Zoé Balthus
Parade Jeunesse d’Eternité, Gwen Catalá Editeur, janvier 2017
Ecrivain(s): Zoé Balthus
Dans ses écrits esthétiques, Zoé Balthus n’ignore jamais les dérapages de la langue plastique lorsqu’elle devient complice de l’impensable. C’est sans doute pourquoi son premier roman ramène à une des aubes majeures d’un tel langage. Preuve qu’au commencement était le Verbe mais aussi l’Image. Le livre débute au chevet d’un blessé de guerre au seuil de la mort : Guillaume Apollinaire, un éclat d’obus fiché dans le crâne. Pablo Picasso lui annonce que Jean Cocteau, poète inconnu à l’époque, lui propose de réaliser les décors d’un « ballet réaliste » qu’il veut créer pour les Ballets Russes. Le compositeur Erik Satie est déjà de la partie. Le livre réinvente une fraternité au milieu des arts dont les jeunes officiants refusent à un usage communal ou classique.
Certes des nuages traversent les cieux, mais l’ombre permet aux personnages de devenir non une projection, résultat d’années de recherches, de lectures, d’écritures et de réécritures tant l’auteure est à la fois passionnée et perfectionniste. Le roman, en dépit de son retour amont, n’a rien d’une consolation nostalgique. La narration devient un appel à la beauté en train de se créer dans les labyrinthes et les vicissitudes de ceux qui la fomentent. Chaque personnage exprime à la fois l’histoire d’une solitude et d’un appel à l’autre.
Le verbe n’est d’une certaine manière qu’un mot dans le livre tant les images l’habitent. Elles permettent à l’écrivaine de poser d’autres questions entre autres sur la mémoire et de la création. Le roman devient devoir d’amour aussi : le souvenir atteste sa fidélité. Car chez Zoé Balthus et à l’inverse de ses protagonistes, un amour ne chasse pas l’autre. Et chaque perte témoigne d’une fidélité. Preuve qu’elle ne manque ni de parole, ni de constance. Il existe en elle un « moi » qui écrit pour se souvenir des visages du passé. Ils deviennent figures figurantes du livre – matériaux d’écriture et surtout d’admiration. Sa langue a laissé certains mots dans l’oubli : les mots techniques ou de certains les jours. Comme si avec l’âge peut-être ils devenaient amnésiques de certains de leurs savoirs. Elle garde ceux qui arrivent tout seuls. Ce sont eux qui créent la pensée, qui la font avancer où elle s’ignore encore.
Bref, Zoé Balthus sort un monde ailé de l’ombre et de la nuit du temps. Tout s’y estompe tout s’y éclaire aussi. La créatrice remet au jour un état naissant. Il se saisit dans la dimension de son regard attentif. Sa visibilité flottante ne tient qu’à cela. Le sens se met entre parenthèses mais pour mieux fasciner. L’écriture est donc d’abord « quelque chose » à voir au sein même de son aporie : il faudrait pouvoir la lire en dormant, ce qui bien sûr est impossible.
Jean-Paul Gavard-Perret
- Vu : 1996