Par la vaste mer, Andrés Sánchez Robayna (par Didier Ayres)
Par la vaste mer, Andrés Sánchez Robayna, éditions Le Taillis Pré, janvier 2022, trad. espagnol, Claude Le Bigot, 113 pages, 15 €
Poésie et réalité
Dès le premier poème du recueil d’Andrés Sánchez Robayna, on comprend immédiatement où se trouve le propos du livre : garder la réalité sous le manteau de la langue. Rien de simple néanmoins, car au contraire la gageure de cette écriture fait apparaître un répertoire presque abstrait, des thèmes éternels donc archétypaux, de la mer, de la montagne, de la maison et du ciel. C’est ici la difficulté : parler haut d’éléments sans aspérité.
Et par ce procédé, celui de l’essence, vient jouer le désir, et particulièrement le désir amoureux (qui semble avoir été une alarme, une secousse pour l’auteur). Car pour le poète le poème est un calque, l’écriture un principe mimétique, le regard une pellicule que l’on retire des choses. Le poème est « prise de guerre », il règne sur l’image, il saisit de la vibration naturelle de l’univers (et le désir en est l’aiguille principale), où le poème retrouve son essence de suspens, d’empreinte, de confinement dans un monde plus suffocant, plus profond, une sorte de passage dans les abysses secrètes de l’art.
Devons-nous faire nôtres les mots
qui nous parviennent comme des ondes,
sans les comprendre, mais en les aimant désormais,
comme si le fait d’aimer fût une forme
de la compréhension, comme si les mots
pénétraient la chair pour être une seule chose,
un même être avec tout notre chair ?
ou
Tout devenait obscur. Et dans l’obscurité
la flamme, entre les mains, éclairait
la nuit qui avançait en pleine nuit,
la douleur au sein de la douleur.
Le désir, la nature, quelques présences alentour (un peintre, un ami, une jeune fille), donnent à cette écriture une importance poétique, dans laquelle le réel devient substance avant d’être poème. Celui-ci essentialise les signes, les signaux faibles de Las Palmas, des îles Canaries, que l’on sent toujours présentes, un monde insulaire qui est la closerie merveilleuse et idéale de tout poète. En conservant une ouverture vers des forces volcaniques, feux liquides de pierres monstrueusement chauffées pour devenir pulpe. Métaphore ici du texte.
Didier Ayres
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