Par là, Estelle Fenzy
Par là, février 2018, 72 pages, 12 €
Ecrivain(s): Estelle Fenzy Edition: Editions Lanskine
Le titre du nouveau recueil d’Estelle Fenzy, comme ceux des précédents, interpelle le lecteur par sa brièveté et l’amène à suivre le chemin qu’il indique. Dès l’incipit la poète plante les premiers germes d’un conte cruel puisque « les ailes oublient leurs anges » et qu’une enfant peut se transformer en « monstre avide ». La nature, elle aussi, prend part au drame dans un vers éponyme du titre de la première partie : « Le vent sème des grains noirs » quand les saules alors « supplient à genoux la rivière ».
Le texte monte ensuite, tel un cauchemar, en crescendo jusqu’à l’expression oxymorique « les traces féroces de la joie ». Mais, par bonheur, L’enfant-sorcière « libère » aussi de la beauté car elle est poète : elle « écrit dans une langue impossible à comprendre ». Allégorie de toutes les formes de création, elle est en fusion avec la nature. Des parties descriptives et un récit au présent donnent à vivre ce phénomène au lecteur qui lit, le souffle coupé, et découvre que les êtres animés et inanimés se transforment « Par là » sous l’effet de ce miracle :
Le cordonnier serre ses lacets
Une goutte de sang perle
au doigt de la couturière
Pour finir, le crépuscule tombant, la fillette parle à la terre elle-même, suivie de son ombre dont la présence mortifère clôt la partie I.
Le titre suivant, « Les caves du monde », est une de ces surprises qu’Estelle a l’art de réserver souvent à ses lecteurs. Ici un drame est planté, une famille, une femme lourde d’un enfant et le récit poignant de l’accouchement secret « d’un sang à quatre sources », ce thème du sang si cher à l’auteure de Mère,dans un ensemble de cinq textes qui suffisent à suggérer l’horreur du viol. Le paroxysme est atteint avec la mort de la « parturiente » dans son travail sacré qu’honore, de façon récurrente, l’œuvre d’Estelle.
Le troisième volet offre une respiration quand le chaman-accoucheur adopte le nouveau-né : « Elle sera la fille que je n’ai jamais eue ». Le rythme du texte, assisté par la répétition des sonorités, s’allège et épouse le charme du sens :
parler nuage rivière feuillage
danser l’infini des abeilles…
l’esquive des offenses
l’endurance de l’œil
Toujours dépouillée, l’écriture d’Estelle reste riche par son vocabulaire ainsi que par la variété de la forme. Des vers courts deviennent parfois plus amples pour des poèmes de quatre à douze vers, à l’exception de quelques-uns beaucoup plus longs. Liberté et beauté du dit définissent ainsi l’opus dans l’engagement fort des choses à dire.
Suit le récit de l’éducation magique de l’enfant au travers de strophes magnifiques qu’il faudrait toutes reproduire tant elles font naître d’émotions. Un miracle, une fois encore, qui s’explique dans toute son humaine contradiction :
Les lésions de sa naissance
et de sa conception
décuplaient sa puissance
fertilisaient son talent
La partie III s’achève sur un mystère. De quoi d’autre l’enfant peut-elle être également la fille ? Cette question explique le titre du volet suivant : « Tremblez » quand, à l’aide d’une comparaison entre le présent et le passé, la nature et les hommes ne peuvent que craindre cette réalité :
Brûlez tout le long de vos os
Car je me couche entre mes ailes
comme quatre jadis couchèrent ma mère
dans la boue
Alors, avec un rythme haletant, intervient un flot de questions, comme au cœur d’une enquête policière, à l’aide desquelles la poète s’interroge sur l’existence des coupables dans la coïncidence obligée du « sang de la mémoire » et de « celui des mots ».
Par la suite, la nature devient adjuvante par son empathique colère. Puis se lit une adresse au père, à tous les pères sans doute, à laquelle la fille, ainsi que toutes les filles, répond ; c’est l’occasion pour celle-ci de recevoir l’ultime connaissance qui sera plus loin mise à profit sous forme de reprise :
Quand tu sauras l’enfer du noir
sous l’absolu du bleu
tu n’auras plus besoin de nom pour
revenir au monde…
Sous le placenta bleudu jour
un vol noirdéferla
trancha d’un coup d’aile
la prière des mains
C’est là l’obligation de conclure, en un point d’orgue, l’horreur par la vengeance avec la présence de l’au-delà et la magie des mots encore.
A la toute fin du livre, Estelle nous offre ce qu’elle a de plus cher, l’amour de la mère enfin présente dans le chant que traduit une preuve magnifique :
On dirait je te connais
On dirait miroir mon beau miroir
On dirait tu es moi
La « Chanson de la fillette » y répond en leitmotiv sacrés.
Alors tout se dénoue quand s’énonce, par une superbe et émouvante leçon de vie, un destin enfin accepté :
Père,
tu le sais
Je n’ai plus besoin de nom
pour habiter ma peau
France Burghelle Rey
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