Par des traits, Henri Michaux (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Par des traits, octobre 2018, 112 pages, 25 €
Ecrivain(s): Henri Michaux Edition: Fata Morgana
Vers un nouveau langage, Henri Michaux
Parlant des idéogrammes chinois, Michaux évoquait ce que ces « formes » généraient : « plutôt que choses, corps ou matières, montrant des groupes, des ensembles, exposant des situations. […] de lestes signes des paysages de branches fleuries et de feuilles de bambous qu’avaient vus en images et appréciaient » les paysans qui ne savaient pas lire.
A partir de là, Michaux, en deux livres, va à la recherche de ce paradoxal langage aussi neuf que premier. Les éditions Fata Morgana republient un des deux, Par des traits (1984). Comme dans l’autre livre de l’auteur sur le même sujet (Saisir), celui-ci rassemble pages de textes, de dessins abstraits, poèmes, essais, et groupes de signes graphiques à l’encre noire.
L’écriture chinoise n’y est jamais loin. Mais l’auteur propose, à partir d’une telle base, son propre « vocabulaire ». Michaux rêve d’un langage universel qui remplacerait les mots par les signes. L’objectif est de « saisir » de manière originale le monde et ses secrets là où le vocabulaire tomberait comme un fruit trop mûr.
Certes dans ce livre, signes (dessins) et textes cohabitent et perdurent. Mais c’est la manière d’ouvrir la voie à une utopie qui reste à écrire ou à dessiner. Et c’est en ce sens que ce langage est bien différent des idéogrammes au « rendu statique » (écrit Michaux).
Il caresse à l’inverse – par delà les modifications des dessins que les gestes induisent forcément à partir d’un « concept » premier – l’idée d’un graphisme inaltérable d’un mouvement premier.
Dès 1954, Michaux rédige, pour un ouvrage consacré à Paul Klee, une préface en forme d’éloge de la ligne qui annonce cette suite. Dans Aventures de lignes, il précise son langage à venir et avenir ; « Une ligne pour le plaisir d’être ligne, d’aller, ligne », et plus loin « Une ligne rêve » capable d’inventer une ligne de conscience reformée et reformulée.
Ce livre indique en conséquence l’appel à une forme qui dépasse les langues littérairement lisibles. C’est là le fameux rêve cher à l’auteur : celui « de participer au monde par des lignes », afin que se crée sa libre circulation comme dans les temps premiers – en Chine tout particulièrement où les signes étaient « parlants ».
Partant de là, Michaux se rêve l’élu capable de préserver la conscience de vivre dans un monde d’énigmes « auquel – dit le créateur – c’est en énigmes aussi qu’il convient le mieux de répondre ».
Jean-Paul Gavard-Perret
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