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Palestine, Hubert Haddad (par Mona)

Ecrit par Mona 20.06.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman

Palestine, Hubert Haddad, (prix Renaudot Poche 2009)

Ecrivain(s): Hubert Haddad Edition: Folio (Gallimard)

Palestine, Hubert Haddad (par Mona)

 

Au cours d’une embuscade en Cisjordanie, Cham, un soldat israélien gravement blessé, se fait recueillir par une famille de palestiniens pacifistes (« c’est seulement avec la paix que nous pourrons vaincre »). A son réveil, frappé d’amnésie, il prend l’identité du frère disparu de la palestinienne qui le soigne et devient un des leurs. D’abord caché dans la fosse d’un cimetière, jeté hors du temps sans repères, étranger au monde et à lui-même, il devient Nassim, terré chez des activistes palestiniens. Une faction plus violente l’envoie en mission suicide à Hébron muni d’un passeport israélien, le sien même qu’on lui avait un jour dérobé près du Tombeau des Patriarches…

Palestine c’est l’histoire d’une frontière floue, d’un dédoublement schizophrénique judéo-arabe, d’un état somnambulique entre l’être et le néant (« Tout s’estompe. Un brouillard monte. Personne n’existe. Il dort, il est peut-être mort… Peut-être n’est-il pas mort ? »). Lorsque les bulldozers rasent une maison palestinienne, le protagoniste pose la question dramatique du roman : « Comment habiter toute une nuit la maison démolie ? ». Frontière floue entre le psychique et le politique.

Israéliens ou palestiniens, les personnages sont des êtres effondrés qui portent tous une blessure morbide : la mère de Cham reste « cloitrée dans sa nostalgie », son frère « malade de solitude », sans plus d’énergie pour peindre, vit réfugié dans une cabane du quartier arabe, la jeune Falastìn n’a pu faire le deuil de son père assassiné (« ils t’ont mis dans une morgue où je ne t’ai pas reconnu, où je n’ai pas voulu te reconnaître, pour que tu restes vivant »), sa mère veuve ne cesse de sangloter, persuadée que son fils défunt est revenu…

Hubert Haddad, hanté par le souvenir de son frère qui vécut longtemps reclus près d’Hébron avant de se suicider, écrit un roman de l’absence et du deuil (« Torturante d’espoir, l’absence remplace ou masque à point le deuil »). Soulignés par les vers du grand poète palestinien, Mahmoud Darwich : « les deux absents : toi et moi, moi et toi, les deux absents ».

Le récit baigne dans une comateuse irréalité qui peine à faire exister des personnages aussi dépourvus de chair que la peau sur les os de la palestinienne, Falastìn (« sa maigreur est telle qu’il ne lui reste que sa beauté »). La beauté des descriptions poétiques (« au-delà d’une lame de ténèbres figurant la mer Morte, les brumes du soir noient la dentelle mauve des montagnes du Moab ») vient compenser l’immatérialité de la chair, planter le décor pour donner corps à l’histoire. Mais un jargon par moment incongru (« les translocations chromosomiques », « les anfractuosités, soulevant des faîtières », les « concrétions argileuses ») laisse entrevoir une tentation de maîtrise stylistique extrême. Dans la préciosité des « enfants nimbés d’ancestralité » ou des « abdications délictuelles », quelque chose détonne. Corps parfois artificiel ? Fausse substance ? Tentation techniciste ? « Les collines pierreuses se perdent en ondoiements » et l’on regrette qu’un peu le lecteur aussi.

L’écriture plutôt désincarnée a du souffle et tend à abolir la frontière entre l’homme et le cosmos (« Tout son être rayonnait alors d’une volonté obscure, proche de la terre, du souffle du vent dans les amandiers, de la grande nuit forgée d’étoiles et de songes »). Mais la dimension cosmique enfle avec l’apothéose finale de manière un peu forcée : « un ongle va détruire l’univers », « on détache de soi des cheveux de cadavres, des queues de comètes » afin de « boire l’absence enfin… boire l’espace entier… ».

Palestine, roman de l’absence à la poésie parfois recherchée, au narrateur borderline et aux personnages fantomatiques, réussit cependant le paradoxe de rendre bien réel un conflit géopolitique présent et l’on salue la belle absence de manichéisme dans la description de la haine fratricide. Des considérations pacifistes ouvrent le récit : le frère de Cham, écœuré devant « l’enfermement belliciste des partis au pouvoir et de l’état-major », fait écho à l’âme révoltée du frère dont Hubert Haddad porte le deuil. Des pacifistes fédayins libres penseurs érudits (on souhaite qu’ils existent encore) côtoient des poseurs de bombes fanatiques. A côté de policiers israéliens ou de colons brutaux figure aussi le Major Mazeltov pétri d’humanité. Le drame des réfugiés palestiniens (« Nous sommes bannis de chez nous, délogés, dépossédés, tous captifs ») n’efface pas le drame des expulsés juifs du monde arabe chassés par les pogroms (« A Bagdad, comme à Damas ou à Amman. Ils étaient bien huit cent mille, à peine moins que les Palestiniens de l’exode »). A la sagesse hébraïque (« sois plutôt le maudit que celui qui maudit ») répondent des sourates pacifistes et la sagesse des maîtres soufis (« il parlait d’Ibn Arabi, d’al-Hallaj ou de Sohrawardi »). Les références récurrentes au Tombeau des Patriarches rapprochent symboliquement les deux peuples.

Le roman plaide clairement pour une solution qui mette fin à la haine et au fanatisme : « un état en Cisjordanie et dans la bande de Gaza délimité par la Ligne verte, l’évacuation totale des colonies, et Jérusalem comme capitale partagée… On goûte une pointe d’ironie envers les jeunes internationaux, bien mis de leur personne (« Des espèces de touristes missionnaires. Des fois, on dirait que c’est plus la haine des sionistes que nos malheurs qui les attirent… ») et autres « belles âmes » qui prennent leurs rêves pour la réalité avec une « candeur insolvable ».

Pour faire entendre la guerre éternelle et la folie des hommes, le narrateur, nostalgique du temps béni, « ce temps paisible quand on croyait aux fables », conte le récit fabuleux d’une âme qui se vide, d’une disparition de soi, l’histoire d’un homme qui commence par mourir et finit par se tuer avec comme ultime conclusion : « Il n’y a plus âme qui vive ». Le néant comme seule chance, peu réjouissant. Mais la fable a le pouvoir de réunir les hommes (« les Musulmans et les Juifs ne parviennent à être d’accord que sur des fables ») et de les guérir (« Le nabi de Tariba guérit de la folie »). Quand le narrateur évoque Le Cantique des Cantiques (« Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe, qui repose entre mes seins… »), il peut, à son tour, faire affleurer l’amour du néant : « il détournerait le Jourdain pour voir seulement l’or ruisseler de ses épaules ». Bel hommage au symbolique : la fable sauve, la parole humanise et l’on sait qu’« Il faut toujours parler… Aux moribonds, aux fous, aux ânes, même aux ennemis ! ».

 

Mona

 


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A propos de l'écrivain

Hubert Haddad

Tout à la fois poète, romancier, historien d’art, dramaturge et essayiste, Hubert Haddad, né à Tunis en 1947, est l’auteur d’une œuvre vaste et diverse, d’une forte unité d’inspiration, portée par une attention de tous les instants aux ressources prodigieuses de l’imaginaire. Depuis Un rêve de glace, jusqu’aux interventions borgésiennes de l’Univers, premier roman-dictionnaire, et l’onirisme échevelé de Géométrie d’un rêve ou les rivières d’histoires de ses Nouvelles du jour et de la nuit, Hubert Haddad nous implique magnifiquement dans son engagement d’artiste et d’homme libre. (Présentation de l’auteur sur le site des Éditions Zulma)

 


A propos du rédacteur

Mona

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Mona Guyot (pseudonyme Mona) née à Paris, ancienne élève de l'Ecole du spectacle, ex-comédienne du théâtre Roland Pilain,

Liseuse à voix haute au sein de l'association des Mots Parleurs  (participation à des lectures poétiques en milieu associatif et Festivals : Mots Dits Mots Lus, Mots à croquer...) et enseignante.