Ozu, Marc Pautrel (par Philippe Leuckx)
Ozu, juin 2020, 168 pages, 9 €
Ecrivain(s): Marc Pautrel Edition: Arléa
A une certaine époque, bien avant la redécouverte de Yasujirô Ozu, vers les années 1978-1979, l’on connaissait très peu de films du grand cinéaste japonais, à peine six films dont Claude-Jean Philippe avait donné une bien belle lecture dans les Dossiers du Cinéma, parus en 1970 chez Casterman.
Le romancier Pautrel, par ce bref roman, donne l’occasion à un jeune public et aux fans de toujours, de revenir sur un parcours étonnant. Contrairement à ses deux pairs, Kurosawa, et Mizoguchi, de nombreuses fois primés lors des festivals européens, et ce dès 1950, à Venise surtout, Ozu avait connu un plus long purgatoire. Il fallut attendre quinze ans au-delà de sa mort en décembre 1963 pour qu’on parle enfin de cette œuvre née dans le muet, et qui trouva sa plus haute période artistique de 1949 à 1963.
Dès son plus jeune âge, Ozu veut faire du cinéma. Son milieu souhaitait de lui une autre voie. Il a vingt ans quand le 1er septembre 1923 un séisme détruit intégralement Tokyo. Assistant-réalisateur en 1924, il est amené à porter les armes en 1937 lors du conflit avec la Chine. Bourreau de travail, Ozu sait « lire, s’enivrer, dormir, prendre des bains, marcher, faire l’amour », profiter de la convivialité de ses amis.
Pautrel a l’art de nous mener au cœur des « émotions » du grand Ozu, de ses jeunes années au dernier jalon qui va de l’accompagnement de son ami Mizoguchi, malade, au dernier film, Le Goût du saké. Il sait aussi entrer de plein fouet dans l’univers de sa création, de ses interprètes, de son travail avec le scénariste attitré Noda. Et bien sûr, il y a la belle aimée, Setsuko Hara, beauté intemporelle de la bonté, d’une douceur de regard sublime. Studio d’Ôfuna, maison de Kamakura, quartiers de Tokyo, Ginza, Fukagawa : le romancier nous guide dans cet espace mental qui a nourri, de longtemps, les meilleurs films d’Ozu, ses thèmes filiaux et familiaux, son admirable préhension du temps que les plans de coupe et la caméra immobile densifient.
Cet artiste, parmi les plus grands que le cinéma ait portés – Bergman, Chaplin, Antonioni, Mizoguchi, Tarkovski – n’a jamais voyagé se contentant, à rebours de Mizoguchi, de pérégriner dans son Japon aimé. Il mourra le jour même de son soixantième anniversaire, le 12 décembre 1963, ayant eu la prestigieuse récompense de l’Académie des Arts, remise au Palais de l’Empereur en 1959. Sur sa tombe : l’idéogramme MU, qui signifie absence, silence, détachement.
Il est peu de films au monde qui donnent cette impression splendide d’une compression unique de temps et d’émotion : suffit-il de regarder, une fois encore, ce qui est peut-être bien le plus beau film jamais tourné, Voyage à Tokyo (1953), ce périple dramatique de parents sur les traces de leurs enfants éparpillés à travers le Japon.
Philippe Leuckx
Marc Pautrel est un romancier français, édité chez Gallimard.
- Vu : 1960