Oui (Molly)
[Ce poème est constitué entièrement de parties du monologue de Molly dans Ulysse de Joyce, traduction d’Auguste Morel, revue par Valery Larbaud, Stuart Gilbert et l’auteur, Paris, Gallimard, collection Du Monde entier, 1980]
oui il devait avoir 11 ans
mais à quoi ça rimait-il
de me mettre en deuil
pour quelqu’un qui ne nous était rien
naturellement il y avait tenu
il se mettrait en deuil
pour le chat je pense
qu’il est un homme
à l’heure qu’il est
c’était un petit innocent
dans ce temps-là
& un petit amour
dans son costume
& des cheveux bouclés
comme un petit prince de théâtre
je lui plaisais aussi
quand je l’ai rencontré chez M*
je m’en souviens bien
je leur plais à tous
tiens mais mon Dieu oui
mais oui en effet c’était lui
dans les cartes ce matin
quand j’ai tiré mon horoscope
le jeune étranger
ni brun ni blond
que vous avez déjà rencontré
je pensais que ça voulait dire
lui
mais il n’est plus un poussin
qui sort de l’œuf
ni un étranger
non plus
& puis ma figure
était tournée
de l’autre côté
j’ai toujours aimé la poésie
quand j’étais jeune j’ai cru d’abord
qu’il était un poète
comme Byron
mais il n’y en a pas
un grain
dans sa nature
j’étais loin
de le voir tel qu’il est
je me demande s’il est trop jeune
il est bien jeune
pour être professeur
ils écrivent tous leurs vers
sur une femme
eh bien je pense
qu’il n’en trouvera pas beaucoup
comme moi
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
là où suavement
soupire d’amour
la guitare légère
où la poésie est dans l’air
la mer toute bleue
& la lune qui brille
si belle
en revenant de Tarifa
sur le bateau du soir
le phare de la pointe d’Europe
la guitare
dont ce type jouait
avait tant d’expression
retournerai-je jamais
là-bas
rien que des nouveaux visages
le regard de deux yeux
de feu
derrière le treillage
je lui chanterai ça
ce sont mes yeux
cet effrayant torrent
tout au fond
& la mer
la mer écarlate
quelquefois
comme du feu
& les glorieux couchers
de soleil
& les figuiers
dans les jardins de ***
& toutes les ruelles bizarres
& les maisons roses
& bleues
& jaunes
& les roseraies
& les jasmins
& les géraniums
& les cactus de Gibraltar
quand j’étais jeune fille
oui quand j’ai mis la rose
dans mes cheveux
comme les filles Andalouses
ou en mettrai-je une rouge
oui
& comme il m’a embrassée
sous le mur mauresque
je me suis dit
après tout
aussi bien lui qu’un autre
& alors je lui ai demandé
avec les yeux de demander
encore oui
& alors il m’a demandé
si je voulais
oui
dire oui
ma fleur de la montagne
& d’abord je lui ai mis
mes bras
autour de lui
oui
& je l’ai attiré sur moi
pour qu’il sente mes seins
tout parfumés
oui
& son cœur battait
comme fou
& oui
j’ai dit oui
je veux bien
Oui
Matthieu Gosztola
- Vu : 2839