Oublie les femmes, Maurice, Florent Jaga (par Olivia Guérin)
Oublie les femmes, Maurice, Florent Jaga, Editions Quadrature, 2019, 115 pages, 16 €
Florent Jaga ou l’amour vache
Chez Florent Jaga, l’amour n’est pas une sinécure. Dans les couples qui sont au cœur du recueil Oublie les femmes, Maurice, ça se chamaille, ça se déteste, ça se méprise, ça s’étripe, ça cherche de temps à autre à se zigouiller. Et parfois – parfois seulement –, ça se rabiboche.
Les quatorze nouvelles qui forment ce recueil constituent au premier chef une galerie de portraits contemporains d’une agréable causticité. On y croise, entre autres, des filles exhibitionnistes, des pin-up, une belle brochette de frustrés, des voyeurs, un pompier tueur en série, un prêtre amoureux d’une effrontée, et surtout beaucoup de couples déglingués qui se dédaignent ou s’indiffèrent.
Ces personnages s’observent les uns les autres (« Je suis resté à la bière et j’ai bu tranquillement en laissant mon regard traîner sur la vie des autres »), à l’instar du narrateur, qui se fait un malin plaisir à croquer les petits travers de ses contemporains. Autant dire que les rapports homme-femme ne sont pas des plus lisses au sein de cette incroyable clique de personnages cabossés !
L’auteur dénonce leurs tromperies, leurs haines, la violence des rapports homme-femme. Ici, l’amour est fait de cicatrices, de blessures, de vexations. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Florent Jaga est un antiromantique.
Autant la vision du monde est cynique, autant l’écriture est alerte. Si Jaga file volontiers la métaphore, elle se veut précisément antipoétique : l’auteur s’amuse à détourner les clichés poétiques, comme dans cette rapide description de l’océan : « J’ai vidé le reste de la canette d’un trait et je me suis dirigé vers l’océan. Il était déchaîné. L’écume giclait mieux que la sueur d’un métalleux à un concert d’AC/DC ».
Jaga maîtrise l’art de la nouvelle avec maestria. Parfois construites en diptyques, alternant de temps à autre les points de vue, les nouvelles qui constituent ce recueil sont souvent construites sur un jeu de retournement, rappelant le motif de l’arroseur arrosé. L’amour est ici conçu comme un jeu de domination où les rapports de force peuvent subitement s’inverser. Et tout cela est joyeusement irrévérencieux, agréablement sarcastique, parfois loufoque et décalé. En bref, Florent Jaga nous offre là un moment de lecture disons… revigorant !
Olivia Guérin
Aix Marseille Univ, CNRS, LPL, Aix-en-Provence, France
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