Où vont les vents sauvages, Nick Hunt (par Parme Ceriset)
Où vont les vents sauvages, Nick Hunt, éditions Hoëbeke, coll. Etonnants voyageurs, février 2020, 272 pages, 20 €
S’il y a bien un élément naturel fascinant à explorer pour un aventurier parce que sauvage et impalpable, c’est le vent. C’est la mission qu’a choisie Nick Hunt : « poursuivre l’invisible » en devenant « chasseur des vents d’Europe ».
On entre dans ce récit à la manière d’un marcheur qui s’engage sur un sentier de campagne. Dès les premières pages, le lecteur est averti : « L’acte de marcher serait essentiel à cette quête comme à l’écriture ». Comme l’auteur lors de sa première rencontre avec une tempête sur une île située au large du pays Galles, on se laisse griser et emporter par ce périple vivifiant.
Nous découvrons ces souffles, leur histoire, leur géographie, l’étymologie de leurs noms, leur influence sur les populations locales et ce qu’ils ont inspiré aux artistes de tous temps.
Ainsi, nous apprivoisons le Helm, vent cité dans l’œuvre de Gordon Manley, qui souffle dans les montagnes anglaises et dont l’arrivée est annoncée par un long nuage blanc et lisse et par un son ressemblant « au bruit de la mer lors d’une violente tempête ». Le Helm est ce vent dangereux qui souffle dans les Pennines, emporte hommes et animaux, renverse des charrettes et détruit des étables. Nous faisons ensuite connaissance avec la Bora, évoquée dans certains textes de Stendhal, cet enfant terrible de l’Adriatique, ce vent sec et glacial qui peut être aussi destructeur qu’un ouragan, faire couler des navires, écraser des maisons. Nous enchaînons avec le Foehn, souvent évoqué par Hermann Hesse, ce vent qui domine les vallées alpines lorsque l’hiver se change en printemps, qui souffle en bourrasques et joue un rôle mortel dans les Alpes suisses en contribuant au déclenchement des avalanches.
La dernière marche du vent nous achemine enfin sur des terres dominées par le Mistral, vent de la folie qui inspirait Van Gogh et dont le tumulte était représenté sur ses tableaux par des coups de pinceaux caractéristiques, vent qui en chassant brumes et pollutions donne également au sud de la France cette clarté si particulière qui infusa les toiles de Cézanne.
Cette randonnée littéraire ne se limite pas à une étude météorologique, Nick Hunt se passionne pour les représentations du vent dans l’art pictural : Coup de vent dans les rizières, d’un graveur japonais, les peintres Turner et John Constable, qui comme lui étaient attirés par le vent dans sa dimension « grandiose, sauvage » et qui s’étaient eux aussi lancés dans la « quête romantique de capter le sublime ».
Nick Hunt nous offre des descriptions infiniment poétiques des espaces montagneux traversés. Ainsi, à propos des vagues provoquées par les assauts du vent sur un plan d’eau, on lit : « Cette calligraphie sauvage décrivait mon bonheur mieux que mes propres paroles ne le feraient jamais (…) Le lendemain le lac était calme et les mots avaient disparu de sa surface ».
L’auteur l’affirme, le vent est étroitement lié à la vie et c’est pourquoi il a toujours fasciné depuis les grecs anciens chez lesquels le terme ánemos qui désigne le vent est la racine du latin anima qui signifie âme. Et en effet, lorsque le vent est absent, tout semble vide : « Une atmosphère molle et fatiguée planait sur Brunnen ».
A l’issue de cette fabuleuse lecture, on réalise que poursuivre ces souffles, ces âmes, fut avant tout une expérience humaine dont l’auteur a partagé ses joies et ses déceptions : son impatience lorsque le Helm ne venait pas : « J’étais venu là pour me retrouver seul avec le vent ; en son absence, j’étais juste seul », ou au contraire sa lassitude, « J’avais fait un long chemin pour trouver ce vent, mais désormais, pour la première fois, je voulais que cela cesse ».
Mais on retient surtout les instants d’émerveillement : « J’atteignais un état d’euphorie qui me fit tituber et me donna l’impression de pouvoir continuer à jamais, d’avoir percé le secret du mouvement perpétuel », ou encore : « Cette nouvelle énergie dominait mes sens, me rendait ivre… je volais quasiment le long du sentier ».
En somme, s’il fallait répondre à la question soulevée par le titre « Où vont les vents sauvages », je dirais qu’ils volent vers la liberté et qu’ils nous emportent avec eux dans un inoubliable voyage artistique et sensoriel.
Parme Ceriset
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