Oswald de nuit, triptyque, Samuel Gallet
Oswald de nuit, triptyque, 2012, 50 p. 11 €
Ecrivain(s): Samuel Gallet Edition: Espaces 34Le Rock est poème - le rock est théâtre
Au fond, le théâtre n’a jamais cessé d’être poétique, en vers ou en prose : Racine, Claudel… Il est poésie dans son verbe et poésie en acte : visions de Wilson, Living theatre… Samuel Gallet pense son texte à la fois comme musique, rythme, sons et voix ; il dédie son texte aux musiciens Baptiste Tanné et Melissa Acchiardi. La musique et la poésie sont sœurs. Oswald de nuit sonne comme un écho au si beau Gaspard de la nuit de Bertrand. Et Samuel Gallet se place sous l’ombre tutélaire de Rilke dans son épigraphe.
Oswald, l’être plutôt que le personnage, porte un nom qui claque comme celui d’un assassin américain, bien loin de la douceur du fiancé de Zénaïde de Tardieu. Oswald est au centre du premier volet du triptyque, l’Ennemi sera le second, et peut-être Rosa le panneau central. Vocabulaire de peinture, pourquoi pas puisque le texte ne s’enferme pas dans les conventions dramatiques. Par exemple, le nom des personnages en didascalies n’apparaît qu’une fois lors d’un dialogue Lucie/Oswald (5-pp.22-23), de longs passages en italiques décrivent le personnage dans une logique strophique et incantatoire avec des retours réguliers à la ligne à la façon d’un leitmotiv :
Oswald sniffe de l’essence hôtel chambre 64 (pp.13-17)
La phrase constitue l’incipit et l’excipit de I. De même, la description de la ville anonyme
Le matin déjà
La ville rincée (pp.13-27)
ou encore :
Mais Oswald s’échappe.
Oswald s’évade.
Oswald est une échappée d’air (pp.14-28)
En outre, le système du dialogue théâtral est remis en cause par l’intrusion du discours direct du récit.
Nous nous ennuierons moins
Dit Oswald.
Nous reprenons la présentation telle qu’elle est dans l’édition.
Oswald, qui est-il ? Un camé nocturne dans la ville accablée. Samuel Gallet aime la ville périphérique, marginale, faite d’architectures dévastées. Elle constitue, tout autant que le personnage, un corps, comme le montre implacablement le chiasme :
La ville ignore Oswald.
Oswald ignore la ville.
Oswald vit la nuit, est la nuit en quelque sorte. Comme dans sa pièce, Communiqué numéro 10, Samuel Gallet installe l’obscurité.
La nuit déjà, p.16 et plus loin p.19 la nuit avance.
Oswald veut sa cam. Souvenir peut-être de la première scène du film Nikita, scène d’une rare violence dans laquelle le groupe des jeunes junkies attaque comme en état de guerre l’officine d’un pharmacien, père de l’un des leurs.
Pharmacien.
Banquier de toutes les substances, de tous les plaisirs…
Le texte suit dans ses répétitions l’addiction d’Oswald et pourtant il est un garçon de la campagne, enfant d’une mère le promettant à la déchéance. Oswald voudrait que Lucie (la lumière) soit dans ses bras. Elle est là dans la chambre 64. Avec elle, il parle. Mais ils sont seuls, ensemble.
Ils sont seuls tout à fait (6-p.25).
Il veut dire à Lucie, à cette voix, ce qu’il a vécu avant la ville, la sexualité animale. Mais en vain. Il demeure l’ennemi (II). Le texte se fait dur, replié sur six pages dont on ne peut s’échapper, piège d’un unique paragraphe. Qui parle en disant je ? Le souffle d’Elias, l’assistant pharmacien. Il raconte ce qui est arrivé dans le quartier nord de la ville de province inconnue. Un danger le guette, un homme dans l’ombre, tapi, le menace. Il est l’ennemi de la ville entière. Il cherche du Subutex. Lui Elias, il s’est intégré, a fait des études, a un appartement, une femme. L’Autre fait partie des « perdants ». Le récit d’Elias se déploie ainsi jusqu’au moment tragique :
Ce soir-là, c’est l’été dans la ville (p.35).
Cela ressemble à une soirée de la fête de la musique. Elias va travailler à l’officine et cette fois-ci, il sait qu’Il est bien là, qu’il va se saisir d’un tesson de bouteille contre Lui pour que les « nuits resplendissent, immaculées ».
Peut-on aller encore plus loin, non Oswald, non Elias, et Rosa à son tour dans l’unique langage des mots (III) va faire tomber les murs haineux, rendre liquide le monde : « invocan los fluidos ».
En espagnol, en italien puis en anglais et ici et là en français, elle dit et redit l’emprisonnement des hommes dans ce monde ancien, ce « très très vieux monde » :
paredes murallas barreras
muri muraglie barriere
walls barriers dams
Et à son tour, l’insurrection prend la parole charriant sa violence. Le texte pourtant se referme sur une réconciliation avec soi et avec le monde. La voix n’est plus solitaire mais chorale : « nous ». La Révolution fait tourner le cosmos et ses mots : noches, estrellas, galaxias, et les langues s’enrichissent. Vient l’allemand : Nächte, Sterne, Milchstrassen. La nuit devient lumineuse et nous laisse espérer amour et monde, les deux derniers mots du texte.
Marie DuCrest
Le texte de Samuel Gallet fait l’objet d’un récital, poème rock autour de l’auteur de musiciens et d’un metteur en scène, J-Ph Albizzati.
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