Orphée du fleuve, Luc Vidal - 1 - Une traversée vers la possibilité du bonheur
Orphée du fleuve, Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, 1999, 197 pages, 18 €
Chez le poète-éditeur Luc Vidal, l’histoire d’Orphée se décline au futur. Cet Orphée au bord du temps pour ses retrouvailles dans la joie de vivre, prêt toujours, hier, demain matin, d’aller « rejoindre les chiens du vent au bout des quais et à la prochaine halte, les quatre points cardinaux de la joie, (qui) brilleront dans les bras de l’amour ».
Parce que la poésie de Luc Vidal est embouchure. Le cours fluvial courant ouvrir ses bras à la mer vers l’Ile des rencontres et de l’amour. « Le temps a donné à Orphée la parole comme à la main la caresse ».
Parce que la poésie de Luc Vidal est, à l’instar du poète lui-même, dans l’espace de l’Autre, de la Rencontre, amoureuse ou amicale : « je suis comme l’espace de ta rencontre / dans ce fleuve bleu de toi le fleuve dieu des couleurs / comme une lumière levée dans tes regards (…) » (Le Fleuve et L’Ile).
« Écrire pour Luc Vidal, précise Christian Bulting dans sa Préface à l’Orphée du Fleuve intitulée « La ligne de cœur », c’est chanter la rencontre (…) Alors que tant de poètes contemplent dans le poème leur image idéalisée, lui dit l’autre, le désir de l’autre, l’amitié de l’autre ».
Et c’est dans ce même état d’esprit que le poète publie aux éditions du Petit Véhicule – créées dans l’objectif des correspondances baudelairiennes* – d’autres poètes que lui ; dans l’état d’esprit d’un éditeur indépendant qui ne saurait être que « bon à tirer » (Cf. Chiendents n°38, Cahier d’arts et de littératures, Editeurs : Bons à tirer ?éd. du Petit Véhicule, 2013) ; dans l’état d’esprit d’un éditeur lié à un cheminement de ses auteurs analogue à celui du personnage de Narcisse qui serait en route, non vers son nombril, mais vers Orphée.
À la fois ample et lyrique, la poésie de Luc Vidal délivre des mots comme le souffle des oyats consolidant les dunes, « habillé(s) des désirs de la vie », œuvrant vers un opéra fabuleux rythmé par les pulsations du Vivre et de la joie de l’Écrire, en route vers un Requiem de jours encore à venir.
La nuit occupe aussi ces allées du temps avec « un étrange poisson (…) venu (…) sur la ligne / du cœur interroger la tendresse (des) paroles » (Le poisson in Le Fleuve et l’Ile, illustré par Nicolas Désiré-Frisque dans le Chiendents n°40, Cahier d’arts et de littératures, Les Chiens du Vent, éd. du Petit Véhicule, 2013). Nuit fleuve s’écoulant jusqu’à l’estuaire de l’amour, mille fois recommencée, va-et-vient, fluidité et renaissance de la source, au-delà du doute, des « oranges de mélancolie » et du dernier feu de la tourmente.
« (…)
j’irai à la nuit tenante ouvrir la séance aux folies de ton ventre
ce fleuve bleu en toi ouvert vivant patiemment du défi amoureux
comme une main surprenant les larmes victimes de ton murmure
mon sentiment est ce sentiment tien pour ton jour
comme un double de mon jour
un fleuve abeille fait naître l’été dans tes prunelles
ce fleuve ma déraison de t’aimer mille nuits recommencées
en tremblant de toi
ce fleuve sonde amoureux invisible et fable de mes errances
ma dernière tourmente dans le sel et l’eau douce de l’amour (…) »
Oui la poésie de Luc Vidal est joie de l’Écrire, comme le Fleuve du Vivre n’est pas impasse, chape de ciel obscur, tarissement de la source mais, au contraire, afflux et flux recyclés de saisons nouvelles, « les nouvelles toujours comme tes bras dessinant une rue / ton cœur et mon cœur / un immense soleil comme une danse dans les yeux / (…) » (L’Ile in Orphée du Fleuve).
Poésie en éveil de l’autre, en attente des regards de l’Autre comme on attend le jour. Et si l’amour a ses chants de solitude et de tristesse sur l’un de ses versants, c’est aussi en attente de cet Autre – l’Amoureuse – jusqu’à son retour, dans l’éclaircie de l’amont, de la possibilité du bonheur.
« (…)
tu es devenue ma femme charmant la solitude divisée de mes journées
avec ses trous en moi que la nuit a fait m’obligeant d’être aveugle
jusqu’à ton retour
les poissons caressent le rivage et mordent les vieilles nuits du temps perdu
entre le ciel et le rêve tu pousses de toi les volets du bonheur
tu as chaussé des jambes vertes dessinées sur la table
et j’ai besoin de la complicité de ton amour
portes et fenêtres silences et regards au cœur de ton monde
mon sommeil a des veilles d’oiseaux décalquées de jour
la photographie de la roue lumineuse naît de tes doigts
l’île de ce jour avance comme une chanson dans ta gorge
aimée de l’étreinte de mes paumes
ton île comme un poème voyageur du désir de nous ».
Murielle Compère-Demarcy
* « L’esprit du travail entrepris par notre maison d’édition associative (loi 1901), est celui des correspondances baudelairiennes. Les arts, dans leur diversité, se répondent, s’épaulent, se confondent, se séparent pour retrouver leur source originelle », Luc Vidal
http://www.lepetitvehicule.com/
Luc Vidal est un poète, écrivain et éditeur français originaire du Pays nantais. Sur les pas de René Guy Cadou il a pris de nombreuses initiatives au service de la poésie. Il est ainsi à l’origine de la Maison de la poésie de Nantes et le fondateur des éditions du Petit Véhicule à l’intérieur desquelles il a créé de nombreuses collections et différentes revues. Citons parmi ces dernières : Signes, Incognita, Les Cahiers Léo Ferré, Les Cahiers Jules Paressant, Les Cahiers René Guy Cadou et de l’école de Rochefort,Chiendents, La Galerie de l’Or du Temps.
Bibliographie : Orphée du fleuve, éd. du Petit Véhicule (1999), Dans les pas de Léo Ferré (en collaboration avec Henri Lambert et Philippe Olivier), éd. Les 3 Orangers (2003), Léo Ferré, Olivier Bernex et la barque du temps, éd. du Petit Véhicule (2003), Le Chagrin et l’Oiseau perdu, illustré par Nicolas Désiré-Frisque, éd. du Petit Véhicule (2011), Les yeux du crépuscule, illustré par Gilles Bourgeade, Coll. La Galerie de l’Or du Temps, éd. du Petit Véhicule (2016).
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