On s'embrasse pas ? Michel Monnereau
On s’embrasse pas ?, février 2013, 191 pages, 5 €
Ecrivain(s): Michel Monnereau Edition: J'ai lu (Flammarion)
Familles, je vous hais !
Le cri de Gide ne peut pas ne pas venir à l’esprit de qui pénètre en cet âpre roman !
Le narrateur, Bernard, revient dans la maison natale, dans un hameau de la France profonde, où, adolescent, il étouffait, d’où il est parti, quinze ans plus tôt, pour respirer, pour changer d’air, quasiment sans adieu, sans se retourner, laissant derrière lui désemparés puis désespérés son père, sa mère, et sa sœur.
Bernard revient après avoir roulé, sans but, dans l’esprit du mouvement hippie, sans s’être jamais arrêté nulle part, en ayant évité toute dérogation à la règle qu’il s’était fixée de n’accepter aucune contrainte, en ayant repoussé toute compromission avec le contrat travail-consommation du système capitaliste, « refusant d’être l’écureuil captif qui fait tourner l’économie ».
Bernard revient, comme il est parti, sur un coup de tête : « Ça m’a pris par quarante-huit degrés cinquante-deux de longitude et deux degrés vingt de latitude, vers minuit »…
Bernard revient dans le village morne où personne ne l’attend plus, où il retrouve d’abord sa sœur Fabienne qui l’accueille avec des reproches et une annonce : « Papa est mort », puis sa mère, terriblement vieillie, qui lui demande : « Pourquoi es-tu revenu ? », et qui l’accuse d’avoir tué son père : « Il est mort de t’attendre ».
Pris dans les mailles des souvenirs, dans la poix des regrets, et dans la pesanteur des reproches, replongé dans le quotidien étriqué qu’il partage péniblement avec une famille qui compte désormais un beau-frère, un beauf, un vrai, et deux nièces, Bernard déprime.
Seule sa nièce Chantal, une adolescente délurée fascinée par l’aventurier qu’il est à ses yeux, dissipe durant quelques jours par la fraîcheur de son jeune corps et par le soleil de son regard la morosité des lieux, jusqu’au moment où, sur le point de céder à la tentation de l’inceste, Bernard la rembarre et se replie dans la solitude de la chambre de son adolescence avec ses bières, ses cigarettes et ses livres.
On eût préféré qu’il ne revînt pas. On lui reproche d’être là, alors que le père n’y est plus. On lui en veut de s’incruster, comme un parasite. Mais on craint qu’il ne reparte, comme quinze ans plus tôt. Que diraient les gens ? Les relations sont tendues, les échanges verbaux sont vifs, acerbes, lourds de sous-entendus.
Et voici que la mère meurt, et que Fabienne prononce un nouvel acte d’accusation : « Sans toi, maman n’aurait pas eu cette attaque ».
Bernard s’isole dans la maison natale, dont il a tacitement hérité, désormais vide de toute présence humaine, mais pleine d’objets, témoins poussiéreux du passé. Chacune des rares rencontres avec sa parentèle, qui vit sa vie terne dans la maison voisine, est l’occasion de nouvelles disputes, de nouvelles accusations (la responsabilité de la fugue de Chantal, partie comme lui un matin sans un mot, lui est bien sûr imputée) jusqu’au jour où, ayant acquis la certitude que le choix qu’il a fait quinze ans plus tôt a été le bon, il ouvre la porte et s’en va droit devant sans la refermer.
La boucle est bouclée.
La narration à la première personne est intimiste, crue, terriblement amère bien qu’empreinte d’humour. On rit, mais on rit jaune. Le regard que porte Bernard sur le monde, sur les événements qui l’agitent, sur la famille, sur soi-même est sans concession. La seule façon de supporter la société est de la fuir, la seule possibilité de s’accommoder de l’existence des autres est de mettre fin à tout commencement d’attachement.
On pourrait conclure, en écho au cri de Gide cité ci-dessus, avec celui de Sartre : L’enfer, c’est les autres !
Patryck Froissart
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