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On n’en taire pas les fantômes, Marine Leconte (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) le 27.08.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

On n’en taire pas les fantômes, Marine Leconte, L’Ire de l’Ours Éditions, février 2024, 86 pages, dessins Agathe Lievens, 10 €

On n’en taire pas les fantômes, Marine Leconte (par Murielle Compère-Demarcy)

 

L’aire de jeux maudite acidulée de sachets de bonbons et « remplie de poudre acide » dans laquelle Marine Leconte nous attire (un peu à la façon de Marlène Tissot, Sous les fleurs de la tapisserie, publiée chez Maltaverne, l’éditeur du Citron Gare et du fanzine Traction-Brabant alias T-B), nous sidère, nous retourne comme ses poèmes nous renversent face contre terre ou nous arrachant la face après le masque, là où ça fait mal, à l’envers écorché des choses. Ça balance des mots en éclats, les fracasse en éclairs qui crèvent des « peaux d’hostie » ; ça pulvérise de petits êtres qui s’essaient à la chose fatale et chutent comme cette petite fille dans une situation titubante où passe de travers la vie courante, où, là, la vie ordinaire passe « de l’autre côté du texte »… Langage poétique à l’humour qui percute et catapulte les codes, langue blanche clinique des mots : et si c’était (f)utile parade à la pesanteur des choses ?

Marine Leconte dédie son quatrième recueil, On n’en taire pas les fantômes, édité par l’Ire de l’Ours,

À celles revenues de l’autre côté du texte

Paysage indompté

En corps

Et à celles qui n’en reviendront jamais

On saisit d’emblée que son alezane de bataille se cabrera, « désoeillée » (ôter les œillères) face à une réalité sordide, et qu’elle le fera entendre. L’état des mots de la poète est ici, comme le réel qu’ils visent, retourné à l’état sauvage, à l’état primal, utérin. Ainsi, après tout, le verso du poème (saisi au vif, rappelons-nous, dans la poêle à (f)rire recto verso d’un Queneau qui, en composant sa recette de poésie, en dit plus qu’il n’en a l’air…). Ainsi les mots non rognés mais cognés dans les angles. Mots aux dents après avoir dévoré leur mors, et lâchant leur bride à l’« ire » de l’ours qui sommeille en celles qui survivent, se dressent, résistent, embaumant les fleurs des corps de surface jusqu’au-dedans, pour taire le hurlement de la douleur, d’un trauma. Pour que nos mutilations s’enterrent sous cape / « sous coupe » des mots/maux ?

De la petite mot n’est

Mort née

Maux n’est

Rien du tout

Tu as de quoi dans la poche

Plus d’utérus

Mais de quoi

Les « soucoupes acides » ce sont les bonbons étranges dont la peau ressemblait à celle des hosties et fondaient instantanément en nous piquant les gencives. Dedans ces soucoupes une poudre acide sucrée. Or une petite, très petite (« même pas deux dents de lait ») avale un cocktail fatal et va aller y voir de l’autre côté. Une un peu plus grande commence à percevoir le vacillement, le truc qui cloche. Silence métallique, personne ne fait rien. La petite, elle, n’attend plus rien, que les « corbeaux / Qui viendront lui nettoyer les yeux »…

Quels mots dire sinon ceux qui taillent, entaillent et tâchent ? Comment dire après l’advenue de la « mort née » ? Le texte commet l’incision de la vie, l’ablation de la vie reproductrice dans le ventre de la page, ouvert ; commet l’abandon de la vie après sa surdose. Après que le corps, ou la tête « en corps », a expulsé dans une douleur sourde/rentrée/in-ouïe le rire primal d’une blessure incommensurable qui se rouvre ici pour dire ou tenter l’impossible d’avoir moins mal : ainsi la catharsis du Poème.

Le texte/sexe ici est en pâture, là où ça jette « des fleurs qui embaument » et des mots/maux embaumés par les scalpels aiguisés sur d’impuissantes victimes, mortes mais à l’œil.

Quel ciel se dessine pour les destins bancals ? Quels desseins du ciel pour les peu promis à la vie verticale ?

La chaise est bancale

La petite l’est aussi

Elle a raté l’assise

Les mots sortent gluants de sa bouche

On dirait de la purée de presque taire

Il lui faut des soucoupes acides

Pour se remettre verticale

Agathe Lievens en dessinatrice accompagne en écho les maux invisibles douloureusement dicibles de ce recueil poussant en boutades et pieds de nez la porte d’un tabou, disant dans la lumière atomique poétique le noir tacite d’un univers underground. Sexes, corps, fleurs bancales des dérives. Tracés, les dessins répètent et tentent d’articuler des existences en pièces,  en mal de repères, îlots déchiquetés coupés de l’archipel (« Cris terre / Critérium rime avec funérarium »). Les traits d’Agathe Lievens, les mots de Marine Leconte tracent en pleins dévidés et déliés aux nuances de gris les « corps géométriques », la vie errante « antédiluvienne » celle hors du temps, hors des codes et du cadre après laquelle s’escarpent les « récifs récits accidentés/ Ou pas / Raturés d’avant ».

L’Ogre prédateur dealer, par le mantra des mots ici, se dé-voile, se dé-figure, se ren-verse, de fantôme rieur (riant de jouer avec la mort des victimes qu’il tient sous sa coupe) en fantôme dénoncé entre les lignes. Victimes dont on a tué le corps et qui, par les mots cliniciens du poème se relèvent et refont se ressaisir les fleurs du mal, refleurir « les fleurs fondues de (la) chatte ».

« La fleur bancale », n’est-ce pas seule la poésie qui puisse la dire dans le fond, qui puisse l’articuler, la mâcher par les mots, la manducation du Verbe, en en revenant ; la dire comme fleur du mal et par bribes, syllabes syncopées, dans la marge non élaguée du réel oblique ?

 

Murielle Compère-Demarcy



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A propos du rédacteur

MCDEM (Murielle Compère-Demarcy)


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Murielle Compère-Demarcy (pseudo MCDem.) après des études à Paris-IV Sorbonne en Philosophie et Lettres et au lycée Fénelon (Paris, 5e) en École préparatoire Littéraire, vit aujourd'hui à proximité de Chantilly et de Senlis dans l’Oise où elle se consacre à l'écriture.

Elle dirige la collection "Présences d'écriture" des éditions Douro.

 

Bibliographie

Poésie

  • Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009
  • Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection "Encres blanches", 2014
  • Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015
  • La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature Chiendents, no 78, 2015
  • Trash fragilité, éditions Le Citron gare, 2015
  • Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015
  • Je tu mon AlterÈgoïste, préface d'Alain Marc, 2016
  • Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016
  • Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016
  • Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017
  • Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. « Parole en liberté », 2017
  • Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018
  • ... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, collection "Encres blanches" , n°718, 2018
  • L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. « La Main aux poètes », 2018
  • Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019
  • Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. « L'Or du Temps », 2019
  • Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019
  • L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. « Les 4 saisons », 2020
  • Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020
  • Werner Lambersy, Editions les Vanneaux ; 2020
  • Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda; 2021
  • Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, 2021 avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier.
  • l'ange du mascaret, Editions Henry, Coll. Les Ecrits du Nord ; 2022. Prélude et Avant-Propos Laurent Boisselier.
  • La deuxième bouche, avec le psychanalyste-écrivain Philippe Bouret, Sinope Editions ; 2022. Préface de Sylvestre Clancier (Président de l'Académie Mallarmé).
  • L'appel de la louve, Editions du Cygne, Collection Le chant du cygne ; 2023.
  • Louve, y es-tu ? , Editions Douro, Coll. Poésies au Présent ; 2023.