Ollivia, Patrick Corneau (par Patryck Froissart)
Ollivia, Patrick Corneau, novembre 2020, 110 pages, 16 €
Edition: Editions Maurice Nadeau
Un ouvrage en deux parties : le récit d’une liaison, de son entame à son dénouement, suivi d’une série de six portraits féminins.
I-Ollivia (Romance pour décourager les rossignols)
Le narrateur, un professeur d’université, se remémore et rapporte à la première personne, sans ordre linéaire apparent, les épisodes marquants de sa relation amoureuse avec Ollivia, une modeste esthéticienne, depuis l’enchantement de la rencontre (par le truchement d’un journal d’annonces « Rencontres ») et d’une période heureuse d’imbrication réciproque d’atomes crochus jusqu’au dénouement d’un attachement progressivement gangrené par une succession de désillusions. Le jeu narratif consiste à mettre en parallèle, puis en contraste, de façon continue et croissante, la distance socio-culturelle qui existe entre l’intellectuel bourgeois et sa maîtresse.
« Quand on rencontre une personne attirante mais pas tout à fait parfaite, on croit parvenir à la changer par la vie en commun ou la relation conjugale, pas entièrement, juste quelques défauts ; de fait, au mieux, on peut espérer modifier un détail peut-être – et cela finit par redevenir comme avant. Ces petits riens qu’on veut ignorer au début mais qui à la longue vous exaspèrent ».
Ce jeu est cruel. Le « Je » définit, d’anecdote triviale en événement anodin, tantôt subtilement, tantôt crûment, une accumulation de traits tendant à affirmer ce qu’il croit lui conférer un statut supérieur par dévalorisation méprisante des faits, des gestes, des us, des petites coutumes, des habitudes sociales, des comportements de sa partenaire.
« L’avantage de fréquenter une personne qui n’est “pas son genre” est d’éviter d’être placé dans un rapport de concurrence, de comparaison évaluateur, possiblement défavorable ».
Le « Je » se trouve là à son avantage, s’en rengorge peut-être, s’en divertit sûrement, jusqu’à ce que le jeu ne l’amuse plus, jusqu’à ce que la condescendance née de la certitude de l’infériorité de l’autre se transforme en un mépris qui ronge l’affection, puis en écœurement en telle ou telle situation, et enfin en un dégoût insupportable au point de provoquer la rupture.
C’est bien l’anti-romance annoncée par le sous-titre.
« Je voyais l’arc d’incompréhension qui paradoxalement nous liait s’agrandir dangereusement – l’effondrement surgirait bientôt ».
Le portrait d’Ollivia, initialement positif, subit, ponctuant des périodes de bonheur amoureux, à mesure que l’amant en distingue les défauts qu’il veut y voir, une série de retouches de plus en plus négatives, réduisant à mesure l’intensité de la relation amoureuse. Si le narrateur cite, en référence de son dessein évident de portraitiste, le Portrait du Cardinal de Retz par La Rochefoucauld, on est plutôt amené, tant les traits ici et là s’accentuent et saillent, à penser aux Caractères de La Bruyère.
En contre-plan, et c’est là un autre aspect remarquable du récit, s’esquisse le propre caractère du narrateur, son individualisme, avec une dose certaine d’égocentrisme. On peut trouver déplaisant le personnage qui apparaît de la sorte.
« Il n’y avait plus d’enjeu, j’avais déjà pris tout ce qu’elle pouvait me donner. Expliquer, s’expliquer, était inutile. J’avais envie d’être seul, ça je le savais – je touchais le sol véritable de ma complexion, le fond de mon être célibataire. Aucun appel du pied ne suffirait à me faire remonter. Vers elle ».
Cet art du portrait qu’annonce le roman, l’auteur l’affine avec talent dans la deuxième partie de l’ouvrage, intitulée Quelques passantes.
II-Quelques passantes
Cette galerie de six portraits, dont le titre évoque le texte d’Antoine Pol mis en chanson par Brassens, relève d’évidence du genre des Caractères de La Bruyère. Jeanne, Inès, Armelle, Iris, Mikaëlle, Matriochka : femmes rencontrées, relations professionnelles, amies ou amantes ; les traits sont nets, tranchants, expressifs, insistant plus ou moins, selon la personne, sur l’aspect physique, visuel, vestimentaire, gestuel, mais portant surtout sur le comportement social, sur les habitudes ou les manies, sur les valeurs ou les contre-valeurs morales, sur le rapport à la norme, sur l’affirmation de certitudes, sur des éléments de psychanalyse faisant référence à des situations vécues dans l’enfance…
Tout cela s’accompagne de commentaires du narrateur sur la manière dont il a su, ou non, « gérer » ces relations. Les figures sont tant réalistes que le lecteur « voit » se dessiner et s’animer les personnages, et ressort de la galerie en ayant l’impression d’avoir lui aussi rencontré et connu ces passantes.
Patryck Froissart
Patrick Corneau a enseigné les sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bretagne Sud. Spécialiste de Jean Grenier, il est l’auteur d’essais et d’articles en littérature, esthétique et critique d’art publiés dans des revues françaises et brésiliennes, et le créateur en 2006 du Lorgnon mélancolique, un blog de littérature et critique littéraire très suivi.
- Vu : 2447