Okoalu, Véronique Sales (par Patrick Devaux)
Okoalu, Véronique Sales, Éditions Vendémiaire, août 2021, 280 pages, 18 €
Il s’agit d’un roman en dehors de toute conception de lieu, de temps et d’action malgré des noms et une région citée pour situer une île qui, sans doute, n’existe pas. Révélée entre des routes maritimes contournées, elle est d’autant plus isolée, et c’est sur cette île que vont évoluer des enfants en dehors d’un contexte parental prétendument « normal » généralement.
Disons-le tout de go, le roman n’a rien à voir avec Robinson Crusoé. Le contexte, s’il peut parfois paraître comme étant « de survie » (et c’est forcé après un crash aérien laissant des enfants à leur propre sort), va au-delà de cette perception un peu immédiate. Rien non plus à voir avec un quelconque mythe du « bon sauvage ».
J’y verrais plutôt une maïeutique à construire l’être, à le modeler pour qu’il devienne lui-même en fonction des choix possibles : « Ce que l’île avait fait d’eux, c’était ce que disait brève, entêtante, la chanson de Mania – qu’ils étaient pourvus à présent, et il ne serait plus au pouvoir de personne de les en priver, d’une forme de vie nouvelle : primitive, insolente, éternelle ».
L’ensemble du roman s’articule autour d’une humanité progressivement bien ou mieux pensée par rapport au contexte initial.
Les découvertes se font lentes et surprenantes alors qu’on pourrait les croire prévisibles ou seulement amorcées pour un autre contexte. L’intrigue n’est pas dans l’idée première de celle attendue et c’est fort bien pensé. Fort bien écrit aussi car presque sans dialogues. Le dialogue est sans doute trop « facile » de mentalité et d’écriture pour cette auteure qui aime dompter véritablement son style : admirable, chatoyant, puissant. Tout est, d’une certaine manière, dit sans parler ou presque. Le contexte du récit le veut en partie car calqué avec brio sur la communication globale des êtres : « Vai n’était pas effronté, comme Aito et Aitu, ni rebelle, comme Oviri. C’est simplement qu’il ne se satisfaisait pas, expliquait Ahutiare, du sort qu’on lui avait fait, et rien n’adoucissait sa peine. En grandissant, il se referma tout à fait ; il devint si taciturne que tous, sauf Mania, se détournèrent de lui ».
Ainsi, il est permis d’accumuler des vies fort différentes et de s’en satisfaire sans en nier aucune :
« Elle disait qu’elle avait eu deux vies : cette banalité la réconfortait ; mais ce n’était pas vrai bien sûr : en réalité, elle en avait eu dix ou douze, peut-être davantage, non pas successives mais superposées, et elle était la seule à connaître, de l’une à l’autre, la voie d’accès et la continuité. Elle n’avait pas établi de hiérarchie entre elles ; elle n’avait pas de préférence pour l’une ou l’autre ».
Naître ou renaître d’une « disparition » : voilà bien le propos mis en balance : « Au matin Glencora se tournait vers lui. Tout ce temps, l’observant, il avait attendu qu’elle se réveille, et l’avait en songe totalement aimée, c’est-à-dire totalement comprise. Elle rejetait ses cheveux blonds en arrière, découvrant son visage que le soleil avait changé. Les derniers temps, il avait d’elle une perception très précise ; il pensait qu’elle était exacte. Il lui avait dit qu’il passerait le reste de sa vie avec elle, qu’ils avaient grandi ensemble et qu’il emploierait le reste du temps, le temps qu’il leur restait, à faire son profit de ce qu’il avait appris d’elle, dans l’île merveilleuse d’Okoalu, où ils étaient nés : le monde ne leur offrirait rien de meilleur ».
On comprend bien qu’un éventuel secours venu de la mer ne forcera pas un choix évident…
Patrick Devaux
Véronique Sales, née en 1961, agrégée de lettres, collabore pendant dix ans à la Revue L’Histoire, dont elle est la rédactrice en chef adjointe. En 2001, elle rejoint les éditions Armand Colin en tant que directrice éditoriale pour les lettres et l’histoire. Après avoir dirigé le département Essais et Documents des éditions Larousse de 2005 à 2009, elle fonde en 2010 les Éditions Vendémiaire, spécialisées en histoire et sciences humaines. A déjà publié plusieurs romans.
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