Œuvres Poétiques, Patrick Laupin (par Didier Ayres)
Œuvres Poétiques, Patrick Laupin, éditions La Rumeur libre, 2012, 304 pages, 22 €
Un éclairage sur la maison d’éditions La Rumeur libre
Témoin
Témoigner est une tâche, une responsabilité au regard du témoignage et de celui qui témoigne, sorte de masque de Janus, commencement et achèvement de cette empreinte, de cette trace. C’est exactement la question que pose, incidemment, René Pons au sujet du bord, de la définition d’une figure, du trait qui laisse une empreinte formelle. Pour lui, le bord c’est la forme. Ici, ce rapport, cette relation d’un sentiment intérieur, vient cadrer un horizon, dessiner une ligne, et parfois aborder des thèmes sociaux, mais sans démagogie, comme simple fait poétique, comme avancée et comme engagement (l’auteur a du reste travaillé avec des souffrants et des prisonniers). Cette langue ne se fige pas, se cherche sans cesse, s’inquiète de soi et du monde. C’est une façon d’habiter le monde en poète.
Il faut aussi noter que Patrick Laupin cite Hölderlin, Leopardi, Trakl ou Baudelaire. Et ce n’est pas par hasard que l’auteur s’abrite sous ce haut caravansérail. Car pour tout dire, j’ai trouvé cette poésie prométhéenne. P. Laupin cherche le feu, débusque la poésie pour que nous, lecteurs, puissions accéder à un agrandissement de nous-mêmes, et sans doute du monde aussi (car cette pente vers les souffrants est notre accès à notre propre souffrance). Il porte le feu vers nous. Il porte la lumière, à la façon de cet étrange pouvoir que donne la nomination, la désignation, montrant l’être, partageant la maison de l’être avec nous.
Je prends le simple exemple de la pluie – il y a beaucoup d’averses, de giboulées plus que de foudre d’ailleurs dans cette poésie. La pluie est intéressante car elle dilue les images, et comme élément aqueux elle englobe, elle est le manteau du langage qui se ferme sur le poème, elle est ce feu oxymorique qui sans cesse cherche à finir et définir l’acte du poème. La pluie appuie notre lecture, la rend brillante comme l’est une flaque qui scintille durant les giboulées de mars. Et l’air ou parfois la terre, donne ce même sentiment de taille d’un vêtement poétique dans le grand drap de la langue.
De là la force de cette reconnaissance, de cette attention portée à ce que le poète veut communiquer, une espèce d’union du mystère et de l’écriture, lumière de la langue portée, ombres portées dans la très grande caverne du sens de l’être, du dasein, de l’étantité. La pluie dans le poème englobe et fait unité autour et en elle. Il faudrait être philosophe pour dégager la profondeur conceptuelle des œuvres poétiques de Patrick Laupin, même si l’abord est simple et peu compliqué en tant que répertoire d’images. Peu d’images, beaucoup de sens. Oui, philosopher sur la notion de totalité, ou à la manière de Bachelard. Seule la poésie autorise ces emprunts, cette gageure du feu qui se répand, cet incendie calme.
Puis la migration visible des grands ciels
où se réfracte étrangement
en coupole de blancheur
le bruit des mots qui s’endorment
Didier Ayres
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