Oeuvres, Joris-Karl Huysmans en La Pléiade - En ménage (par Yann Suty)
En ménage, octobre 2019, 1856 pages, 66 €
Ecrivain(s): Joris-Karl Huysmans Edition: La Pléiade GallimardCela pourrait presque être un vaudeville. Ou alors une tragédie. Il est vrai que la frontière entre les deux est parfois ténue.
Un soir, André est en vadrouille avec son camarade Cyprien. Pour une fois, il décide de ne pas s’encanailler toute la nuit et rentre plus tôt que prévu chez lui. Mal lui en prend. Il découvre en effet sa femme, Berthe, au lit avec un autre. Il réagit avec froid, presque avec flegme. La scène se passe sans colère, sans grande effusion, peut-être même sans tristesse. Quelques jours plus tard, André s’étonnera d’ailleurs de sa réaction et se demandera pourquoi il n’a pas étranglé l’amant de sa femme.
Il fait sa valise et quitte le foyer conjugal. Il se réfugie chez son ami Cyprien (Cyprien qui, d’ailleurs, a été l’amant d’une des sœurs Vatard dans le roman du même nom de Huysmans). Il pense qu’au moins, un scandale a été évité et c’est sans doute là le principal. Qu’il soit cocu n’est finalement pas si surprenant car « il avait épousé sa femme sans entrain, sans génie ». Mais il laisse Berthe presque à regret, car il va devoir tout recommencer à zéro. « La vie de dix-huit ans qu’il fallait revivre à trente ans passés, la confiance et l’espoir en moins, l’estomac délabré, et des besoins de confortable en plus ».
Comme quoi, le mariage n’a pas grand-chose à voir avec la passion. Huysmans nous explique d’ailleurs à un autre moment ce qu’est un mariage réussi : « C’est une caisse d’épargne où l’on se place des soins pour ses vieux jours ! c’est le droit de soulager ses rancunes sur le dos d’un autre, de se faire plaindre au besoin et aimer parfois ! ».
Et voilà André obligé de recommencer « sa vie de garçon ». Huysmans revient sur la genèse de ce mariage, comment André et Berthe se sont rencontrés par le biais d’une annonce. L’oncle et la tante de celle-ci, qui l’ont recueillie après la mort de ses parents, souhaitaient se débarrasser de cette bouche à nourrir. Le mariage fut vite conclu, mais le couple se désagrégea presque aussi vite. « Son mari lui parut vieux de caractère ». Il adopte avec elle « le ton paternel et bienveillant ». « Plus elle y pensait, plus elle était à présent convaincue qu’elle avait commis une sottise en l’épousant ». Et pourtant, elle s’en veut d’être allée avec un autre car elle jugeait « indigne de tromper son mari, même quand on ne l’aime pas ».
André est de nouveau célibataire ? Le voilà qui revit. Il retrouve même l’inspiration côté écriture, à croire que le mariage l’avait bloqué et l’empêchait de s’accomplir. Mais bientôt il se retrouve pris dans une « crise juponnière » et se met à regretter sa vie avec Berthe. « Il éprouvait maintenant ce sentiment lent et triste que procure le souvenir d’une personne chère partie pour jamais au loin ». Nostalgie, quand tu nous tiens… Il est en pleine crise d’identité en même temps qu’il traverse une phase de misère sexuelle.
Huysmans étudie une vie qui se désagrège après une rupture et une tentative de remise à flots. Incapable d’y parvenir, André se réfugie dans le passé et se met à le refaçonner en pensant que sa vie d’avant n’était, finalement, pas si mal que ça. Il est toutefois difficile pour le lecteur de sinon s’apitoyer sur André, du moins avoir de l’empathie pour lui. Il n’a pas de talent, pas de qualités particulières, rien qui pousse à le suivre. Il manque quelque peu de personnalité ainsi que de volonté. Il n’est pas capable de se forcer la main. Peut-être est-ce très réaliste mais, pour un personnage de fiction, on aurait peut-être pu s’attendre à ce que son caractère soit un peu plus marqué. Au fond, c’est un être tiède, comme le prouve sa réaction en découvrant sa femme au lit avec un autre. Il prend un coup, mais c’est davantage la surprise qu’autre chose. Il est déçu, mais pas trop. C’est aussi le cas de sa femme. Berthe est un personnage qui manque de chair, qui n’a rien de singulier. Elle n’est guère plus qu’une présence, un élément du décor.
Les deux protagonistes de ce roman sont assez banals, mais l’histoire l’est également. L’intrigue est quasi inexistante et l’auteur a tendance à se focaliser sur les détails. Peut-être aussi est-ce une manière de coller au plus près de ses personnages qui ne sont pas capables de voir plus loin que le bout de leur nez. Réaliste ? Et pourtant on ne sait pas non plus comment André gagne sa vie alors qu’il est un écrivain non publié. De la même manière, son ami Cyprien peint, mais ne vend pas (c’est d’ailleurs là un défaut qu’on retrouva dans le cinéma français contemporain : la mise à l’écart de la façon dont les gens gagnent leur vie, comme si avoir de l’argent allait de soi. C’est peut-être vraiment pour certains milieux bourgeois, mais quand on étudie le « peuple », c’est sans doute plus problématique).
Le risque quand on veut rendre compte d’une vie banale, c’est tomber dans la banalité, dans le mièvre.
Yann Suty
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
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