Octobre, Zoë Wicomb
Octobre, septembre 2015, trad. Anglais (Afrique du Sud) Edith Soonckindt, 290 pages, 23 €
Ecrivain(s): Zoë Wicomb Edition: Mercure de FranceUne femme en crise
« Mercia Murray est une femme de cinquante-deux ans qui vient d’être quittée.
Nous le savons, et elle aussi d’ailleurs, cette situation pour le moins banale équivaut à une forme de mort ».
Ainsi commencent les premières lignes de ce roman. Zoë Wicomb prend comme point de départ cet instant de crise. Mercia Murray devient, au lendemain de la terrible nouvelle, une femme anéantie. Son compagnon la quitte pour une femme plus jeune et comble de l’ironie, il va aussi devenir père. Face à cet échec sentimental, Zoë entame une introspection. Son voyage intérieur la ramène aux sources. En effet, au même moment où elle entame sa vie de célibataire forcée en Ecosse, Mercia reçoit une lettre de son frère alcoolique et malade lui demandant de revenir au pays, en Afrique du Sud. Notre protagoniste n’a plus rien à perdre et décide d’effectuer son voyage de retour. Elle ne s’attend pas à l’ampleur du désastre et constate avec impuissance la déchéance de son frère rongé par la haine qu’il porte à son défunt père. Le retour à la terre natale fait émerger des souvenirs douloureux. Les images d’une enfance malheureuse resurgissent et avec elles, l’ombre d’un père terrible dévoré par l’angoisse du péché et le puritanisme.
Dans Octobre, Zoé Wicomb décrit la lente descente en soi d’une femme en crise. A partir d’une situation somme toute banale, l’auteure introduit le fameux grain de sable dans la routine d’une vie tranquille et ordinaire. Le mécanisme déraille et Mercia Murray se retrouve projetée sur un chemin de traverse. Elle ne contrôle plus son existence et les événements qui l’entourent. Sans être un roman psychologique à tendance narcissique et « freudien », Zoé Wicomb sait avec subtilité, à travers les mots et l’évocation d’une saison, décrire avec justesse la solitude intérieure du personnage féminin. Octobre est le mois tutélaire du récit. Il représente le temps de la transition, du passage entre deux mondes, celui automnal de Glasgow et la saison chaude du Cap.
« (…) au moment où elle devrait être partie, en octobre, lorsque s’abat la tristesse liée à la lumière qui décroît.
Chez elle, dans l’hémisphère Sud, avec le soleil déjà bien en route vers l’équateur, il fera chaud, durant la journée en tout cas. Le mot lui vient sans effort : chez elle, l’endroit où elle ne vit pourtant plus depuis plus de vingt-six ans. Chaud, oppressant, et lourd de souvenirs (…).
L’auteure, avec finesse, glisse la narration vers une problématique plus profonde, plus près de ses préoccupations littéraires, à savoir la crise d’identité qui sous-tend l’échec amoureux. Avec brio, Zoë Wicomb trace aussi l’itinéraire en zigzag d’une exilée qui revient en visite sur la terre des siens. Mercia Murray ne refait pas son roman familial. Elle compte profiter de ce temps en suspension pour régler les souffrances liées à son enfance. Elle redéfinit et trace les contours de sa vie en accompagnant son frère dans sa descente aux enfers. Son ambivalence à l’égard de la femme de ce dernier cache un terrible secret. C’est aussi le temps de la vérité sur la face cachée de ce père tant redouté.
En conclusion, Octobre est un roman au croisement de plusieurs genres. Sans être un roman familial aux dimensions psychologisantes, il retrace la complexité de l’humaine condition et la solitude des êtres pris dans le tourbillon des événements qui les dépassent. Il est sans conteste que Zoë Wicomb nous offre là un récit profond, grave et en même temps proche de nous par des thèmes qu’elle aborde : l’interrogation de nos origines, les blessures de l’enfance et la solitude intérieure.
Victoire Nguyen
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