Observons une minute de silence, Jean Foucault
Observons une minute de silence, Éditions Henry, coll. La main aux poètes, 2015, 111 pages, 8 €
Ecrivain(s): Jean Foucault
La poésie de Jean Foucault ressortit bien à la poésie dite « engagée », qui nous délivre un message. Dans Observons une minute de silence, ce message se vrille à des événements tragiques de l’Histoire (la Guerre, les attentats terroristes, les accidents dramatiques de la vie, etc.) pour lesquels, lors de commémorations, une minute de silence est observée. Minute, ainsi que le remarque justement l’auteur, qui ne saurait être imposée :
« Ce peut être malsain
D’observer une minute de silence.
Est-ce à son insu ?
Je ne l’imagine pas.
(…)
La minute de silence
Doit être socialement autorisée
Et même vivement conseillée
Mais non pas obligée
Il ne faut pas qu’il y ait
Le moindre dépit à son plein gré
(…) »
L’objectif du poète et du recueil est exposé d’entrée, « en guise d’argumentaire » :
« Si je présente un recueil consacré à la minute de silence ce n’est pas que les guerres me semblent une bonne chose. Sinon sans doute j’aurais réalisé des poèmes en l’honneur des arcs de triomphe.
Je m’insurge contre les guerres mais je m’interroge sur les imageries collectives qui tournent à leurs alentours et cherche à comprendre. Je fais partie de cette société, je ne suis pas au-dessus de la mêlée.
Honorer les morts de ces boucheries guerrières, c’est honorer ceux qui n’ont pas été reconnus que comme chair à canon. Cela m’est plus agréable que d’honorer les généraux. Je n’irai pas au-delà du maréchal-des-logis-chef dans ma compassion.
J’ai donc été amené à m’interroger sur cette institution qu’est la minute de silence. J’ai eu envie de “l’observer” comme on nous appelle à le faire. De l’observer en poète, ce qui me permet je l’espère d’aller un peu plus loin que ce que nous faisons habituellement ».
L’objet du combat, mené en parallèle à l’écriture de ce recueil, est clair et ciblé. Au-delà des conventions et des « machines à commémorer la guerre » (monuments aux morts, sonneries aux morts, discours officiels, et « la fameuse minute de silence » qui « peut être une occasion de parler autrement de nos morts »), Jean Foucault « poétise (ici) sur les minutes de silence » afin de dénoncer l’absurdité et les horreurs (« boucheries ») de la Guerre (« Non la guerre n’est pas jolie ») ; afin de promouvoir la Paix, comme dans La statue à cinq têtes, une publication antérieure des éditions Corps Puce (que Jean Foucault dirige) qui réunissaient la participation créative de l’écrivain Alain Serres – actuel directeur des éditions Rue du monde – et de Pef, engagé lui aussi depuis toujours dans le combat pour la paix.
Le recueil se compose de trois parties, abordant la minute de silence selon un angle d’observation spécifique : « De quelques considérations personnelles propres aux minutes de silence », « Observation des bonnes pratiques dans le monde des minutes de silence », « Les minutes de silence de 14-18 et leurs monuments aux morts », « Les minutes de silence au service de multiples commémorations ».
Après nous avoir rappelé que la minute de silence fut d’abord créée en 1919 en Grande-Bretagne et en France et que les commémorations qu’elle accompagnait se sont étendues à divers traumatismes subis par de malheureuses victimes d’accidents d’avions disparus, de navires qui ont coulé, et par des hommes « morts au travail, mineurs emportés par un coup de grisou, syndicalistes victimes de la répression patronale ou d’Etat », Jean Foucault ajoute qu’aujourd’hui la minute de silence se recueille « pour commémorer la mort des Sans-Papiers morts devant la forteresse Europe, disparus en mer, noyés dans une Méditerranée utilisée comme les douves des châteaux forts du Moyen-Age ».
On retrouve ici le militantisme de l’éditeur de Corps Puce et poète Jean Foucault – notamment par le biais de l’association amiénoise Lignes d’écritures et la Maison nomade de poésie –, infatigable défenseur des Sans-Papiers, des Réfugiés – aux côtés de son épouse Christine Foucault, membre active de la CIMADE d’Amiens (N.B. : le projet annuel « Migrant’scène » associant la CIMADE et la Maison nomade de poésie d’Amiens, en lien avec les éditions Corps Puce, renouvelle son travail en 2018).
L’auteur nous confie en poésie quelques « considérations personnelles propres aux minutes de silence », dont celle-ci :
« Pour moi la minute de silence
Se présente sous forme de serpentin
De circonvolution aléatoire
Légèrement frangée
Enrubannée d’invisible.
Mais on me dit que ce n’est pas obligatoire
Pas universel
A chacun sa chacune.
Chacun à la montée de silence
Qui lui convient le mieux
Venue de la pression de sa salive
De la délicatesse
De sa fleur de peau
De sa chair de poule.
Hommage aux vibrants silences
Propres à chacun ».
Comme « à chacun sa chacune » sa minute de silence, chacun/chacune choisira parmi ces poèmes sur la minute de silence ceux qui lui conviendront le mieux (en observant, peut-être, à la lecture de chaque texte, une minute de silence…). Chacun/chacune ira de son interprétation selon sa sensibilité, son état d’esprit. Chacun/chacune appréciera plutôt tels poèmes réalistes, objectifs, ou tels autres de lucide ironie.
La rédactrice de cette note de lecture s’est plus longtemps arrêtée sur les poèmes de tonalité ironique qui, entre/sous leurs lignes, expriment comme dans une minute de silence, la brutalité et l’absurdité grotesque / farcesque de certaines tragiques situations. Qui ne sont pas de « faits divers ». Car, lorsqu’il s’agit d’humanité, lorsqu’il est question de la vie d’un homme, quel qu’il soit, peut-on jamais parler de « faits divers », ne serait-ce qu’une minute (dans les journaux, à la télévision, etc.) ? Mais silence ! Écoutons plutôt le poète :
« En rade de Brest
J’ai vu un sablier
Un assez gros navire
Qui ôtait le sable des fonds
Pour que les bateaux puissent
Tranquillement
Continuer de passer.
Alors j’ai pensé que tout ce sable récolté
Pourrait aider à calculer
Les minutes de silence pour grandes
boucheries
Un sablier affecté aux seules Grandes
Guerres
Je vais en toucher deux mots au capitaine ».
Et ce poème, quelque peu en périphérie de la minute de silence mais, toujours en lien avec sa problématique, et d’actualité :
« “Droit au silence !”
Revendique l’homme aux chaussures vertes
Qui essaie de tuer
Dans la presse parisienne
Le droit au silence
N’est pas apparenté
A la minute de silence
Le droit au silence
Ou la politique de l’omerta ? »
Jean Foucault utilise ici son droit à la parole en observant en poète la minute de silence, ce qui permet au lecteur, oui, d’aller plus loin que ce qui se fait habituellement.
Murielle Compère-Demarcy
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