Observations sur la peinture, Pierre Bonnard (par Didier Ayres)
Observations sur la peinture, Pierre Bonnard, L’Atelier contemporain, octobre 2019, 72 pages, 15 €
La question de la lumière
Parcourir les Observations sur la peinture de Pierre Bonnard, revient à entrer dans le secret de la peinture. Et ce secret, c’est la lumière. Car plus encore que la question du maigre et du gras, c’est la lutte entre l’ombre et la lumière qui intéresse le débat intérieur du peintre. Du reste, il faut souligner que les aphorismes, qui sont une ressource d’un intérêt majeur pour comprendre l’œuvre de Bonnard et plus généralement pour l’activité créatrice, sont consignés ici dans un carnet de dessins lesquels suivent, on l’imagine, le temps de la vie de l’artiste qui dessine ou écrit sur de petites surfaces d’agenda, fort sobres d’ailleurs. Je dirais aussi que ces courtes notes s’apparentent formellement aux fameux fragments d’Héraclite, lesquels sont eux aussi une collecte à travers l’épaisseur du temps, comme ici pour Bonnard, ces notules extraites de petits carnets, réflexions sans vraiment d’ordre, mais éminemment pertinentes. Quant à la compréhension des citations, il faut réfléchir à ce qu’est l’action énigmatique de créer, accompagnée par un peintre.
Ces annotations brèves, condensées, quintessenciées, se réduisent à parler de la couleur, de la pâte colorée, de la matière picturale laquelle se fabrique en suivant les indications si primordiales de la lumière, élément consubstantiel. Bonnard ne cesse d’interroger la lumière, considérée comme devant être saisie par la couleur.
20 février 1939
La vision de détail est fausse, quant à la lumière elle ne correspond qu’à l’intelligence.
L’intelligence de la vision doit faire se mouvoir les conditions de la production de l’œuvre. L’acte de peindre demeure par essence un travail avec le pigment, devenant une forme d’empâtement qui vient bouleverser le cadre plastique, se prolongeant au-delà, c’est-à-dire en un lieu où la matière saisit la lumière, et ainsi éclate le motif vers le niveau supérieur de l’art. La réalité elle-même se plie, se déploie ou s’harmonise, se condense dans le tableau, et finalement atteint à la vérité de la forme, du modèle.
7 octobre 1935
Un petit mensonge pour une grande vérité.
Bonnard, si je puis dire, réfléchit à voix haute sur l’acte productif, sur le faire, sur le scintillement des couleurs, sur la fabrication de l’image, clé finale de la peinture. La matière a le dernier le mot et se situe aussi aux prémices, ce qui dénote de l’intérêt sans conteste de la lumière, et évidemment de l’ombre sans laquelle elle ne pourrait se manifester. Il étudie avec très peu de signes en quoi sont difficiles les relations entre la chose vue et sa restitution, entre la chose représentée et ce qui la représente, et les liens entre la pâte colorée et l’ombre ou la lumière.
D’autre part, j’ajouterai que ces considérations ne quittent jamais le champ de la peinture et ne glissent pas vers la philosophie ou la littérature. Les propos de Pierre Bonnard sont une relation « sismographique » à la peinture, ressentie de l’intérieur.
20 février 1939
Que le sentiment de beauté se rencontre avec la nature, c’est là le point.
De cette façon, le livre est bien organisé et permet de comprendre à la fois la simplicité un peu orientale d’une expression pauvre en quelque sorte, et la source génétique de ces réflexions. Ces éphémérides et agendas où Bonnard dessine et écrit, et que l’ouvrage essaie intelligemment de mettre en lumière, sont d’emblée une relation aux pages universelles que nous a laissées Vinci, et introduisent, de plus, cette grande filiation scripturale à la peinture par le biais d’un peintre qui écrit.
Didier Ayres
- Vu: 2014