Objets intranquilles & autres merveilles, Claude-Max Lochu, Bruno Smolarz (par Philippe Leuckx)
Objets intranquilles & autres merveilles, Claude-Max Lochu, Bruno Smolarz, Atéki éditions, 2021, 76 pages, 17 €
Il y a une réelle osmose entre le travail pictural de Lochu et les textes de Smolarz. Pourtant, les toiles préexistaient. Bruno Smolarz a écrit sur, à propos d’elles. La rencontre est insolite, poétique, diverse : ces deux-là aiment la couleur tranchante, le voyage dans « la toile ». Bruno parle d’artiste protéiforme quand il vante les mérites de son ami peintre. Les mots collent bien avec les sujets variés que la palette de Claude-Max propose à notre acuité. Il est vrai que les objets du quotidien (baskets, chaussures, etc.) occupent une grande place comme les inscriptions dans une certaine tradition warholienne : tel ce bidon « oil the end ».
L’objet est par nature intranquille puisqu’il fait parler de lui. Et c’est merveille que de croiser ces textes sur des couleurs pétantes, faut-il le dire ; Claude-Max Lochu est un fameux coloriste dans une lignée de figuratifs qui aiment dessiner, colorier, peindre, et ça se voit, et ça se sent car il y a ici des regards croisés : Bruno décrit, accompagne, analyse, commente les toiles, sans jamais déborder ni tomber dans la répétition oiseuse ;
on sent sous la plume de Bruno la poésie poindre et réaliser, avec les œuvres de l’ami, une sorte d’accomplissement. Les proses et les poèmes, les récits et les souvenirs viennent apporter aux œuvres graphiques leur pesant d’esthétisme et de qualité graphique. J’aime assez ces rencontres de mots et de couleurs.
Les déambulations, par les textes et les toiles, au travers de villes comme Florence, Prague, nourrissent un imaginaire du voyage, très bien illustré par la reprise de la couverture en poche du récit Bourlinguer de Cendrars. La peinture a ce pouvoir aussi de suggérer des prolongements à la seule contemplation esthétique ; le « liseur » des toiles regarde, scrute, se reconnaît peut-être dans le tracé devant lui, devant ces couleurs d’une réalité elle-même très colorée, celle des villes et des objets d’aujourd’hui. Rouge, rose, orange, défilent dans ces peintures saturées de couleurs, comme ces autos d’enfants alignées pour un jeu. Les couleurs sont les nuances de nos vies, Lochu et Smolarz l’ont bien saisi.
Où Lochu a-t-il trouvé ces couleurs ? Chez Turner ? Chez les fauvistes ? Chez les modernistes américains des années soixante ? En tout cas, ces couleurs qui tranchent ordonnent sa singularité et mettent l’artiste dans une sphère de coloristes à la Miro, à la Bonnard. « L’homme immobile » écrit par Bruno sur la toile Pointe de Pern à Ouessant, révèle une dimension autobiographique, elle-même présente par ailleurs. C’est dire l’empathie ressentie, c’est dire la conjonction des univers du peintre et du poète. Entre essai et prose poétique, le livret précieux donne de l’artiste le catalogue idéal, celui tressé par le regard de l’autre, ami et littérateur.
Un très bel objet, en mains, dans le cœur.
Philippe Leuckx
Claude-Max Lochu, né en 1951, a fait ses études à Besançon. Il expose depuis 1975. Grand figuratif.
Bruno Smolarz vit à Paris. Docteur en littérature japonaise. Grand amateur d’art.
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