Nuit marine, Alain Crozier (par Murielle Compère-Demarcy)
Nuit marine, Alain Crozier, Jacques André éditeur, coll. Poésie XXI, 2019, Préface de Jean-Paul Gavard-Perret, 82 pages, 12 €
Cette nuit marine de l’éditeur-poète Alain Crozier se lit comme une histoire d’amour, sur l’air du Tourbillon de la vie de Serge Rezvani interprété par Jeanne Moreau dans Jules et Jim de Truffaut. Toute une ambiance… Une histoire d’amour avec ses aléas, son début (partie I : « Histoires corporelles » / « Elle avait des bagues à chaque doigt… »), avec ses séparations, ses retrouvailles (partie II : « La main passe » / « Au son des banjos je l’ai reconnue… »), ses « Éclats » (partie III / « Quand on s’est retrouvé… »), sa fin (partie IV « Nuit noire » / « Puis on s’est séparé… »). Une ritournelle poétique où les mots tournent autour de l’amour, sans badinage ni sentimentalisme, entre grâce et dérision.
Le poète Alain Crozier fait glisser ses mots sur les vagues d’une nuit marine où l’ambiguïté file sous l’eau et fixe quelques escales au bord de la crique d’amour, « d’une nuit à l’autre », entre rêves et réel, là où les corps se réchauffent, transcendés par une « vision d’Éden » ; fait glisser ses mots sur le laps confus, la ligne de crête, où la confusion des sentiments amoureux (« Mélange de plusieurs sentiments, / Parfois opposés ») le rend marin amateur de ces hauts-fonds qui compliquent la navigation
Je traverse une zone
Trouble.
Plusieurs vents,
Plusieurs directions.
Feux et / ou
Signaux.
J’étais perdu avant,
Je suis perdu,
Encore.
Mais je ne suis pas
Pressé de sortir
De ces eaux troubles.
Écrire la nuit marine de l’amour lui fait ressortir la tête de l’eau : « Déjà, / Écrire / Ce sentiment dans la tête / Qui occupe trop de place », lui donne le temps d’émerger « dans le vague ». Si l’amour n’est pas « une épreuve » facile, Crozier ne se résigne pas à ne plus l’aborder, il garde le désir de le vivre en plein large, d’en affronter les risques, les zones troubles et troublantes, les remous. Ni l’ivresse éprouvante des profondeurs ni les naufrages ne l’empêchent de poursuivre son chemin de navigation. Le poète amoureux avance et réitère les expériences, recevant chaque vague en pleine face, accueillant les gourmandises quoi qu’elles lui en coûtent. « Le mal de mer » peut bien le déstabiliser et durer toute une journée, il s’accroche au bastingage des mots et poursuit sa route. Ce que le lecteur fait à ses côtés, lui qui connaît aussi les morsures de l’amour, ses « tempêtes », la « faim » d’aimer, une « pure utopie », « peut-être, peut-être… », « peut-être pas »… l’amour que l’on aime, comme Crozier « M marine », dans la nuit du temps… l’amour, aube de plus ou crépuscule, chanson ou « poème à la noix » ou histoire sérieuse, espace-temps poétique… l’amour, tourbillon, drogue (« M comme… / Morphine. / Elle est ma drogue, / Fine »), « océan » ou traversée initiatique, irréversible, durable ou « fatal »… l’amour
Point de retour
Ou point de retour ?
Murielle Compère-Demarcy
Né en 1973 à Roanne, Alain Crozier vit dans le Sud de la Bourgogne. Plasticien, écrivain, il écrit des nouvelles, des récits, des poésies dans de nombreuses revues. Il dirige lui-même la revue de création littéraire Cabaret ainsi que les Éditions du Petit rameur et est responsable du Salon du Livre de la Clayette, Voyage en Livres.
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