Nouvelles du New Yorker, Ann Beattie
Nouvelles du New Yorker, trad. (USA) par Anne Rabinovitch avril 2013, 379 p. 20 €
Ecrivain(s): Ann Beattie Edition: Christian Bourgois
Pour certains d’entre nous, Ann Beattie a accompagné nos années d’adolescence post soixantehuitarde. Elle est de ces plumes qui ont su capter une époque, un style, un mode de vie, des silhouettes, des mots : ceux de la « libération » des langues et des esprits. Du moins de la pseudo libération car elle cachait bien sûr d’autres enfermements, d’autres illusions, d’autres croyances imbéciles. Et ça aussi, Ann Beattie l’a saisi.
Vous l’avez compris, les nouvelles réunies ici, pour une large part d’entre elles, datent des années 70 et ont été publiées, dès leur naissance, par le célèbre New Yorker, magazine littéraire et culturel de Big Apple. Et on y retrouve tout cet univers d’alors : babas cool, chipoteurs psychologisants, fumeurs de joints, révolutionnaires de salon, nanas « libérées », gratouilleurs de guitares et de rimes approximatives, théoriciens nuls de l’avenir du monde, artistes dans un devenir qui ne viendra jamais.
Ann Beattie en fait des scènes choisies de la vie à New-York. Car il ne faut pas s’y tromper, New-York est évidemment le personnage central de toutes ces histoires, fascinante et insupportable, au point que chacun des personnages est incapable d’imaginer une vie ailleurs, un peu comme les personnages de Woody Allen, scotchés dans le macadam de La Ville, shootés à son gigantisme, à son dynamisme, à ses délires. Le tout, bien sûr, en râlant à tout propos sur ses défauts :
« - Qu’y a-t-il de si attirant dans l’ambiance survoltée de New York ? s’exclama-t-il. Tu te réveilles en nage la nuit. Tu ne traverses même plus Washington Square Park. »
On écoute Dylan, Lennon et McCartney, et Billie Holyday, sur vinyles bien sûr, religieusement :
« Deux chansons en particulier se gravèrent dans la mémoire de Sharon. L’une était « Solitude », et la première fois qu’elle entendit Billie Holiday chanter les trois premiers mots, « in my solitude », elle éprouva une sensation physique, comme si quelqu’un éraflait son cœur avec un objet pointu. L’autre chanson à laquelle elle songeait sans cesse était « Gloomy Sunday ». Jack lui apprit qu’elle avait été interdite de diffusion à la radio à l’époque, parce que, disait-on, elle provoquait des suicides. »
L’engagement écologique, antiraciste, le coming out des gays, Ann Beattie se fait l’écho de la naissance des grands débats qui nourrissent encore notre époque. On se laisse séduire par la nostalgie, par les personnages –presque toujours des femmes en figures centrales – fragiles, naïfs, pétris d’idéalisme et blessés par les déceptions de la réalité.
Ann Beattie nous décline les symptômes d’une génération, avec empathie et talent. Et on s’y plonge avec plaisir.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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