Nouvelles de la grande guerre, Collectif
Nouvelles de la grande guerre, Collectif : Henri Barbusse, Rudyard Kipling, Albert Londres, Talo Svevo, Robert Walser, Stephan Zweig, Arthur Conan Doyle, Richard Weiner, Liviu Rebreanu, Alexis Tolstoï, octobre 2014, 213 pages, 19 €
Edition: Zoe
La première guerre mondiale a impliqué de nombreux belligérants et provoqué les morts et dévastations, destructions que l’on sait. Qu’en est-il de la littérature ? Et plus précisément de la nouvelle, genre malaisé à maîtriser. A la lecture du recueil rassemblé par les éditions Zoé, il apparaît que le genre de la nouvelle a administré dans cette période une preuve de sa capacité de restitution événementielle.
Tous les cas de figures, situations, postures y sont abordés : ainsi, dans le premier texte de Robert Walser, c’est l’arrachement, l’expulsion de la naïveté originelle, la perte de l’insouciance de l’avant-guerre qui sont évoquées : « Ces hommes vivaient une vie aussi simple qu’heureuse, leur existence était douce, suave et gaie (…) La guerre éclata. Tous accoururent aux lieux de rassemblement pour prendre les armes (…) Le service de la patrie dissipe toutes les réflexions ».
Un soldat, dans la nouvelle de Liviu Rebreanu, est soupçonné d’être déserteur. Son adjudant l’emmène près des lignes ennemies pour – lui dit-il – permettre de s’échapper car il est condamné à être fusillé pour désertion. En fait, il se suicide, pour échapper à la honte de la trahison dont on se demande si elle est bien réelle… Le texte sur les prisonniers de guerre est également éloquent dans sa brièveté : des soldats autrichiens sont faits prisonniers et ils sont parés de toutes les tares : « Et des pommes de terre, en avez-vous, des pommes de terre ? ». On s’interroge sur les appartenances religieuses ou nationales des prisonniers : « Eh bien, fais un signe de croix comme ça (L’autre se signe) Tu es catholique ? Qu’est-ce que tu es, Polonais ? ».
Le sort des civils est également évoqué. Stefan Zweig décrit la vie d’un bouquiniste d’un quartier de Vienne qui travaille paisiblement dans un café, le café Glück. Sa vie est bouleversée par la survenance de la guerre, il est arrêté, détenu dans un camp avant de revenir dans son café sitôt la guerre finie. C’est une rupture pour lui, elle est définitive, quelque chose s’est brisé : « Mendel n’était plus Mendel, comme le monde n’était plus le monde. Quand il lisait, il ne se berçait plus dans une concentration béate (…) Il n’était plus un être miraculeux, mais une misérable loque humaine affalée sur son siège (…) Il n’était plus qu’un importun, un parasite crasseux et dégoûtant ».
D’autres, pour qui « la guerre n’a pas été un mauvais souvenir », sont mentionnés dans ce recueil de nouvelles : le portrait, par Albert Londres, d’un déserteur d’un bagne colonial qui n’a « pas su qu’il y avait la guerre » et celui d’Italo Svevo, tout en nuances, en détails pertinents, d’un entrepreneur absorbé par la signature d’un contrat, après la guerre, contrat dont les clauses doivent lui permettre d’évincer son gendre Valentino et son associé, Olivi. Le contrat est finalement signé, l’entrepreneur se sent vaincu car « Valentino avait réussi à obtenir une concession importante d’Olivi : il passerait une heure chaque soir dans le bureau à revoir pour mon compte toutes les écritures en les comparant aux documents originaux ».
Stéphane Bret
Notice sur le recueil : Rassembler dans un même recueil quelques-unes des grandes nouvelles écrites aux quatre coins de l’Europe pendant ou juste après la guerre. Une autre façon de raconter l’histoire. Mis bout à bout, ces récits singuliers rendent compte de l’unicité des destins pris dans un seul et même engrenage, la guerre.
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