Nouvelles Animalières, Guy de Maupassant
Nouvelles Animalières, janvier 2016, textes choisis et dossier par François Kerlouégan, 192 pages, 4,80 €
Ecrivain(s): Guy de Maupassant Edition: Folio (Gallimard)
Guy de Maupassant (1850-1893), le scandaleux, l’homme du canotage et de La Feuille de Rose, aurait probablement bien ri si on lui avait dit que son œuvre, en particulier ses nouvelles, deviendrait une manne inépuisable pour l’institution scolaire, en particulier les éditeurs en mal d’idées pour suggérer des leçons aux professeurs et donc vendre leurs livres. Va donc pour ces Nouvelles Animalières, choisies par François Kerlouégan, qui a aussi réalisé le dossier les accompagnant.
Les nouvelles sont choisies parmi le corpus classique de Maupassant, chacune bénéficiant, c’est parfois précieux, des précisions temporelles sur sa publication originale, tant dans la presse qu’en volume. Selon que l’on a plus ou moins fréquenté l’œuvre de Maupassant, ces onze Nouvelles animalières seront des découvertes ou des redécouvertes – quoi qu’il en soit, un véritable plaisir de lecture, où se retrouve la perfection stylistique d’un auteur à la fois « élève » de Flaubert et habitué à faire rentrer une histoire dans un carcan précis, celui de la place laissée à la littérature dans la presse de l’époque (1880-1890), qui ne laissait plus aux nouvellistes la place autrefois octroyée aux feuilletonistes. Ce sont donc onze fulgurances narratives qui sont ici réunies, avec pour thématique commune la présence d’un animal.
Cet animal prend toutes les formes, du chien au cheval, du perroquet au loup, de la sarcelle aux poussins, mais est envisagé dans tous les cas dans sa relation à l’homme, celui-ci se montrant parfois d’une sauvagerie… inhumaine, à l’image du Zidore de la nouvelle Coco, qui laisse littéralement crever de faim un vieux cheval tout en jouissant du spectacle. Ailleurs, on voit l’homme devenir un peu animal, se mettant en osmose avec celui-ci – c’est le cas de Toine, dans la nouvelle éponyme, qui finit par couver avec fierté des poussins.
Ces deux variantes et d’autres sont analysées relativement finement par l’anthologiste dans un appareil critique qui souvent parle avec justesse des textes de Maupassant, mais est parfois un peu tiré par les cheveux (« L’intertexte mythologique peut aussi se déployer par antiphrase », certes, à ce compte, tout est dans tout, et vice-versa), voire franchement hérité du versant le plus alcoolisé de la psychanalyse sauvage (montrer que le perroquet de la nouvelle Le Noyé est inversé par rapport à celui de la nouvelle Un Cœur Simple de Flaubert, c’est exact ; aller jusqu’à y voir, dans le chef d’œuvre de Maupassant, une forme de « meurtre du père », cela relève de la psychologie de comptoir). Ces errements analytiques sont d’autant plus regrettables que, fait remarquable, parmi diverses analyses « classiques », l’intertexte maupassantien est par ailleurs analysé avec exactitude.
D’un autre côté, cette anthologie a un petit côté artificiel, puisqu’aucune thématique animalière spécifique claire ne se dégage de ces onze nouvelles signées Maupassant ; elles confrontent l’homme à l’animal, c’est plus ou moins le trait qui les unit, entre elles ou aux extraits de textes proposés dans lesGroupements de textes (du Jules Renard, du Octave Mirbeau, du Emile Zola et même du Marguerite Duras) en fin de volume. On peut regretter que l’anthologiste n’ait pas étendu son corpus en direction de l’animalisation des humains par Maupassant, avec cette distance ironique chère à l’auteur. Par exemple, dans la nouvelle Une Vendetta, ici reprise, on aurait pu montrer à quel point les Corses sont réduits au statut d’animaux et insister sur ce point (« Sur la montagne blanche, le tas de maisons pose une tache plus blanche encore. Elles ont l’air de nids d’oiseaux sauvages, accrochées ainsi sur ce roc, dominant ce passage terrible où ne s’aventurent guère les navires ») ; ou dans Le Saut du Berger, non ici reprise, observer le même phénomène, avec ce prêtre devenant fou à force de prêcher à de grossiers paysans (« Il les assimilait aux brutes, ces gens-là qui ne connaissaient point l’amour, et qui s’unissaient seulement à la façon des animaux ; et il les haïssait pour la grossièreté de leur âme, pour le sale assouvissement de leur instinct, pour la gaieté répugnante des vieux lorsqu’ils parlaient encore de ces immondes plaisirs »). Dommage, c’est un rendez-vous raté – mais peut-être l’objet d’une autre anthologie, relative elle à l’animalerie humaine de Maupassant, cette grande volière où nous voletons tous, chacun de nos ridicules susceptibles d’être croqués d’une phrase ravageuse et parfaite.
Didier Smal
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