Nous étions des êtres vivants, Nathalie Kuperman
Nous étions des êtres vivants, 240 p., janvier 2012, 5,10 €
Ecrivain(s): Nathalie Kuperman Edition: Folio (Gallimard)On pourrait toujours dire que l’époque est propice à la (re)lecture du texte de Nathalie Kuperman, que cette réédition tombe à pic, que la mise à disposition de ce texte au plus grand nombre ne peut que répondre à un besoin évident, tant l’actualité est riche en délocalisations, fermetures programmées et inéluctables aux yeux de certains, menaces en tous genres qui pèsent sur les salariés. Sans doute trouvera-t-on dans ce texte bien des échos de cette actualité économique. Mais toutes ces bonnes raisons de lire ce texte ne doivent pas masquer les qualités littéraires dont fait preuve l’auteur.
La construction tout d’abord. Nathalie Kuperman donne la parole à plusieurs employés d’une maison d’édition, ce qui est l’occurrence d’un texte à plusieurs voix pour mieux observer de l’intérieur les ravages d’une restructuration de l’entreprise après le rachat par un individu, dont le but n’est que pécuniaire. Le chœur, qui représente l’ensemble des employés, a aussi la parole. C’est l’occasion de suivre l’évolution de chacun quand la suspicion oblitère les rapports dans l’entreprise. Qui sera viré, qui aura la promotion que je mérite, sont autant d’interrogations légitimes. « C’est au moment où il faudrait que nous nous aimions que nous nous regardons avec méfiance ». Ainsi s’établissent des rapports qui poussent certains à commettre des actes insensés. Et d’aucuns iront jusqu’à saboter le déménagement en saccageant les cartons des uns et des autres.
Mais si les situations sont dramatiques, si la menace du vide est constante, Nathalie Kuperman sait relater les contradictions dans lesquelles sont plongés les futurs licenciés avec l’humour nécessaire pour éviter tout pathos. Et les antagonismes qui se font jour sont décrits avec parfois la légèreté qui sied. Et quand Ariane et Dominique sont plongés dans la volonté de conserver leur emploi en même temps que le désir de ne pas trahir qui que ce soit, ils ne sont pas décrits comme des monstres d’égoïsme, mais comme des êtres avec leur faiblesse parfois touchante qui hésitent à faire des choix qui feraient fi de l’autre.
Ce sont les impasses de notre époque dont ce livre rend compte, et son titre résume bien son propos : nous étions des êtres vivants avant, mais dès que la menace de la perte d’un emploi se profile, les repères s’estompent.
Guy Donikian
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