Nous avons aimé, Willy Uribe
Nous avons aimé, traduit de l’espagnol par Claude Bleton septembre 2013, 271 pages, 8,65 €
Ecrivain(s): Willy Uribe Edition: Rivages/noir
« Un Jim Thompson de Bilbao ». C’est ainsi que le présente Carlos Salém, dans la préface qu’il a signée pour son seul autre roman traduit en France, Le Prix de mon père, aussi chez Payot Rivages/Noir. Photographe, surfeur, reporter, voyageur, Willy Uribe verse son encre noire comme la bile dans des romans qui exhalent les dessous peu reluisants de l’Espagne.
Nous avons aimé ne fait pas exception. Narrateur interne de sa propre descente aux enfers, Sergio est un jeune surfeur basque, vaguement paumé entre sa vamp de mère, aussi allumeuse qu’allumée, et Eder, son brillant comparse qu’il entoure d’une amitié équivoque, et qu’il suit jusqu’au Maroc à la recherche des meilleurs spots. Du moins, le croit-il. Car de fumettes en fumettes, ballottés entre les seins d’Odette, la française qui les accompagne, les deux jeunes basculent dans une sale histoire de drogue, d’argent sale, de chantage et de règlement de certains comptes qui viennent sans doute de plus loin, depuis le saut dans le vide de Janire Pagoaga ou la mort de Bustintxu sous un train. Et là-bas, à Madrid, gronde le coup d’état contre Franco… Mais Madrid est si loin. Pas de vagues, à Madrid. Madrid ne sert à rien sans vagues.
Dans ce roman structuré en un aller-retour Algorta-Assaka/Assaka-Algorta, il y a des chausse-trappes et des fausses pistes. Il y a du rythme et quelques effets de syncope, lorsque l’histoire se prélasse parfois dans des bords de mer vaporeux où le surf a bon dos, même « arrivé à Biarritz, un bled où les riches passaient l’été à baiser et à jouer ». Il y a tout à coup une intrigue qui plonge à pic comme les corps par-dessus les falaises, au hasard d’une soirée de débauche qui tourne mal. Et un narrateur pigeonné qu’on ne sait plus comment écouter, qui ne cherche pas même à justifier l’injustifiable et dont la cavale frénétique et vengeresse laisse le lecteur désemparé.
On peut d’autant regretter une version française qui ne rend pas toujours la noirceur espagnole, et qui semble polir parfois le texte original, ne fût-ce que par l’impossibilité d’en restituer les effets musicaux attachés aux noms propres par exemple, ou la difficulté de donner un équivalent de l’oralité typiquement basque-espagnole dans les dialogues.
« Franchouilles » peut aussi décevoir s’il s’agit de traduire l’intraduisible « Gabachos » dont sont affublés tous les « putains de français » lorsqu’ils passent au Sud de la Bidassoa.
Oui, décidément. « Il y a des vagues dans le monde entier, Sergio. Mais pour le moment, on n’en a rien à foutre ».
Frédéric Aribit
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