Identification

Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse, Michaël Uras

Ecrit par Arnaud Genon 16.06.15 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse, Christophe Lucquin Éditeur, mai 2014, 224 p. 16 €

Ecrivain(s): Michaël Uras

Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse, Michaël Uras

A l’ombre des souvenirs retrouvés

A lire les informations que l’on trouve ça et là sur Internet concernant la vie de l’auteur, on se dit que le petit Jacques, narrateur de Nos souvenirs flottent dans une eau poisseuse, n’est pas étranger à Michaël Uras. Mêmes origines italiennes du côté du père, maçon de profession, mêmes voyages l’été en direction de la Sardaigne, mêmes enfances et adolescences dans « une petite ville perdue »… Il parle d’ailleurs de ce roman, son deuxième (1), comme d’une « autofiction » (2), même s’il relève davantage, par le mélange assumé du réel et du fictif et par l’absence de pacte, du roman autobiographique.

Mais l’essentiel est ailleurs. A travers un ensemble de situations anecdotiques – premières amours, départs en vacances, jeux avec les enfants du quartier… – le narrateur nous plonge dans son âge tendre qui est celui d’un jeune garçon d’origine modeste, entouré de ses deux frères, de sa mère et de son père immigré italien, vivant dans une petite ville française où se côtoient, au sein du même lotissement, classes moyennes et populaires. Les aventures heureuses et malheureuses de Jacques se succèdent à travers une vingtaine de chapitres qui constituent un ensemble, mais peuvent se lire de manière autonome.

L’humour de l’auteur, toujours présent, teinte par ailleurs les différents épisodes de sa vie : son frère rêvant au destin des stars quand son père l’imagine « spécialiste du parpaing », l’aveu de l’amour du narrateur pour une jeune fille à sa mère que cette dernière interprète comme l’annonce d’un mariage. Même la naissance de la vocation littéraire du narrateur prend des tours d’auto-parodie.

Cependant le « je », le dérisoire, l’ordinaire d’une vie d’enfant qui n’a rien d’un super-héros et qui s’appellera « Jacques jusqu’au bout », se transmue rapidement en matière littéraire, en matière romanesque où légèreté et profondeur, joie et tristesse, mots bien trouvés et mélancolie se mêlent et créent une tonalité douce-amère permettant de dire « le tiraillement entre deux lieux, deux identités » (3).

L’écriture, toujours juste, donne au roman un caractère universel dans l’évocation des premiers émois, des événements familiaux marquants (sorties dominicales, grands rendez-vous sportifs à la télévision), dans la relation que nous entretenons avec nos parents. C’est cela qui fait la force et le charme de cessouvenirs : réveiller les nôtres (création de la 7 en 1986, arrivée du magnétoscope dans les foyers…), les interroger dans ce qu’ils disent de nous et des êtres qui nous sont chers. Le narrateur, dans les dernières pages, dit avoir voulu « se débarrasser du passé qui collait encore à (s)es chaussures ». En le racontant et en le partageant, il écrit finalement un bel hymne à la mémoire et à nos réminiscences, aussi collantes soient-elles.

 

Arnaud Genon

 

1) Son premier roman, Chercher Proust, est également publié chez Christophe Lucquin Éditeur, 2012, puis Le Livre de poche, 2014

2) Un deuxième roman pour l’auteur jurassien Michael Uras, Le Progrès, 9/05/2014. En ligne : http://www.leprogres.fr/sortir/2014/05/09/un-deuxieme-roman-pour-l-auteur-jurassien-michael-uras

3) Ibid

 


  • Vu : 2969

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Michaël Uras

 

Michaël Uras est né en France d’un père d’origine sarde et d’une mère française. Il a grandi dans le Jura dans un milieu ouvrier où la littérature n’occupe pas beaucoup de place. Sa passion précoce pour la lecture, et en particulier pour l’œuvre de Marcel Proust, le pousse vers des études littéraires. Il étudie les lettres à Besançon puis à la Sorbonne à Paris1. Il est aujourd’hui professeur de lettres et vit dans la région de Montbéliard. Nos souvenirs flottent dans une mare poisseuse est son deuxième roman.

 

A propos du rédacteur

Arnaud Genon

Lire tous les articles d'Arnaud Genon

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : Littérature française et francophone

Genres : Littérature du "je" (autofiction, autobiographie, journaux intimes...), romans contemporains, critique littéraire, essais

Maisons d´édition : Gallimard, Stock, Flammarion, Grasset


Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à l’Ecole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il est l´auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), de L’Aventure singulière d’Hervé Guibert (Mon petit éditeur, 2012), Autofiction : pratiques et théories (Mon petit éditeur, 2013), Roman, journal, autofiction : Hervé Guibert en ses genres (Mon petit éditeur, 2013). Il vient de publier avec Jean-Pierre Boulé,  Hervé Guibert : L'écriture photographique ou le miroir de soi (Presses universitaires de Lyon, coll. Autofictions etc, 2015). Ses travaux portent sur l’écriture de soi dans la littérature contemporaine.

Il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org