Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Eliane Viennot
Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Editions iXe, 2014, 128 pages
Ecrivain(s): Eliane Viennot
Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles (Requête des dames à l’Assemblée nationale, 1792)
Voilà un petit livre qu’il nous faut ouvrir ou rouvrir à l’heure où la question de l’orthographe française et de son éternelle réforme revient (discrètement mais avec insistance) sur le devant de la scène. Le titre en conteste déjà ce que l’on nous enseigne et ressasse jusqu’à l’écœurement ou la colère depuis des lustres à l’école, oubliant que c’est une réalité pour le moins discutable, non seulement idéologiquement, philosophiquement, mais aussi linguistiquement ou philologiquement parlant.
Certains vont peut-être penser en découvrant ce titre que décidément le féminisme s’attaque à des combats et des luttes bien vaines, ringardes pour ne pas dire déplacées. Ah la beauté et les mystères de notre belle langue éternelle !… Il en a toujours été ainsi, alors vous n’allez pas nous imposer de nouveaux usages ! Toujours ainsi ? Oh que non ! Et c’est bien le mérite du travail d’Eliane Viennot de nous rappeler et montrer que la langue ne se forge pas que par l’usage populaire, pragmatique, logique et naturel. Les institutions y ont aussi largement leur poids en tant que prescriptrices des usages « recommandés », jugés conformes au « génie » de la langue comme à la logique des modèles et représentations sociales et idéologiques. Connaisseuse de la littérature de la Renaissance, l’autrice (1) nous entraîne dans une visite guidée au sein des vieux dictionnaires et manuels du bien parler et du bien écrire, nous révélant certains débats d’une institution étrangement honorée et prise comme référence alors qu’elle n’a jamais constitué un modèle de représentativité sociale, cette fameuse Académie Française créée par Richelieu. Une institution qui peut s’enorgueillir d’une parité de genre des plus singulières : à ce jour, 5 femmes pour 34 hommes (2). Cela en dit peut-être bien plus sur notre société qu’on ne le voudrait. Parlons d’ailleurs d’autres choses car il se pourrait aussi que cela en dise trop…
Peu importe comment l’on dit, disent parfois certains, et même certaines. Ce ne sont pas les mots qui font le monde ! Comme disait Cyrano à celui qui moquait mal son nez, cela est un peu court ! Nos façons de dire sont aussi façons de faire, façons de voir, façons de penser. Avant cette saine lecture, je n’aurais pas été loin d’être d’accord avec cet auteur… pardon : cette autrice qui, toute femme qu’elle soit, ne souhaitait pas vraiment qu’on la nommât « autrice », percevant dans cette dénomination comme un avatar dégénéré de l’auteur, figure universellement reconnue et honorée, une sorte d’appendice honteux ajouté à la figure malgré tout essentiellement masculine de l’auteur (que lit avec bonheur la figure tellement féminine de la lectrice (3)…). Un brin d’archéologie et d’histoire nous révèle que le terme n’est nullement un néologisme inventé par des féministes revendicatrices (ce qui rime bien sûr avec « castratrice »), mais bien un terme combattu et rejeté pas des lexicographes patentés et un brin « masculinistes ». Voilà que ma bibliothèque vient avec bonheur de se peupler d’autrices alors qu’il n’y avait jusqu’à présent que des auteurs. N’est-ce pas merveilleux ? Je lirai donc dorénavant mes autrices préférées avec une nouvelle satisfaction ! Que mes lectrices et lecteurs (il doit bien y en avoir quelques-unes et quelques-uns) me tapent sur la syntaxe si je masculinise indûment ! Quant à auteure qui est d’usage au Québec et se répand chez nous, il sonne bien trop masculin pour convaincre (« autrice » sonne quand même plus naturellement que « auteu-reu »).
Non, décidément, comme l’on écrit et comme l’on parle, cela n’est vraiment pas anodin. Cela n’est pas près d’être standardisé non plus, quoi qu’en pensent les normalisateurs que produisent toutes nos belles institutions (de l’Académie aux académies). A nouveau, l’histoire nous permet de comprendre autrement notre présent, qui n’a jamais été immuable et ne sera certainement jamais idéal. Pour notre part nous relativiserons la valeur des fautes que nous voyons ou percevons, de goût, de jugement, d’orthographe ou de grammaire. Des accords aux noms de métiers, des pronoms au genre des objets et des choses, la relativité historique du genre, son incertitude d’usage, peut nous amener à être un peu plus attentifs à ce qui se dit, s’écrit et se sédimente au fond de nos cerveaux, de notre langue et de nos représentations culturelles.
L’accord à domination masculine, par l’accord de proximité, n’hésiterons pas à remplacer, et vers les autrices continuerons-nous d’encourager les lecteurs réticents d’aller.
Marc Ossorguine
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