Noces de verre, Philippe Routier
Noces de verre, janvier 2012, 224 p. 18 €
Ecrivain(s): Philippe Routier Edition: StockLa banalité du mal.
La formule d’Hanna Arendt pourrait s’appliquer au livre de Philippe Routier, Noces de verre, qui nous propose un voyage très éprouvant pour les nerfs.
Le père de Khadija, Tareq, est épicier à Puteaux. Après la mort de sa femme, il décide de retourner au pays, à Essaouira au Maroc. Khadija a 19 ans, elle travaille dans un magasin Relay et, pour elle, ce départ est le début d’une « cruelle solitude » qui durera de longs mois. Solitude que semble briser, un an plus tard, sa rencontre avec Virgile dans une laverie automatique.
Virgile suit des études pour devenir prothésiste dentaire et il est passionné de tuning. Ce n’est pas exactement le coup de foudre entre les deux gens, mais ils vont être amenés à se fréquenter et à se plaire l’un l’autre.
« Khadija voyait en son compagnon un garçon un peu fruste au charme puissant, plein de tonus, qui aimait potasser ses cours et qui saurait se bâtir un solide avenir. Elle avait besoin de s’appuyer sur un jeune homme de cette trempe pour entamer une nouvelle vie. Cette nécessité affaiblissait son discernement et lui ôtait toute méfiance. »
Bientôt, ils se marient. Un enfant naît, Valentin. Puis, le couple décide de quitter la région parisienne et de s’installer dans le Quercy natal de Virgile, à moins de trente kilomètres de Cognac. Virgile a trouvé une belle situation.
Pour suivre son mari, Khadija a abandonné son travail. Elle n’a pas noué de relations, ne parle pas aux voisins et sa belle-famille n’éprouve que de l’aversion pour elle. Elle ne correspond en effet pas tout à fait aux canons envisagés pour leur fils.
« Moins d’une année s’était écoulée depuis son départ de Puteaux que déjà Khadija regrettait amèrement d’avoir quitté son travail pour suivre son mari jusqu’à Goujonac. »
Car un soir, un événement se produit : Virgile lui jette un paquet de riz au visage. L’événement ne sera pas sans suite. Deux mois plus tard, son mari la gifle. Khadija est d’autant plus surprise que, jusque-là, Virgile n’avait jamais eu aucun mouvement pouvant indiquer qu’il pouvait être brutal.
Par petites touches, Philippe Routier nous emmène dans l’horreur et l’effet est d’autant plus saisissant que l’auteur reste toujours très réaliste, ne surenchérit pas dans l’abjection. C’est la banalité de l’horreur. Le quotidien devient un enfer où le plus petit détail, comme un jouet d’enfant, peut créer le danger le plus bouleversant.
Virgile, un homme bon sous tous rapports, en apparence, se révèle un petit « despote » chez lui. Il violente sa femme pour n’importe quelle raison.
« Elle parvenait à calmer son mari en lui répétant : « Pardon… Pardon… », même si elle ne voyait pas distinctement quelle faute elle avait pu commettre dont il lui eût fallu se faire pardonner. »
Khadija est seule. Elle n’a personne à qui parler, personne pour l’aider. Petit à petit, le père de son fils a fait de sa vie une prison dont elle ne voit pas comment sortir. Elle n’a plus moyen de paiement. Elle doit lui rendre compte de chaque dépense qu’elle effectue au supermarché, mais aussi du temps qu’elle y passe.
Noces de verre est un livre brillamment construit, à l’écriture dense. Comme Khadija, le lecteur se retrouve peu à peu enfermé dans le livre, si bien qu’il lui est difficile d’en sortir. Ce n’est pas un thriller au sens classique du terme (avec meurtres, recherches de coupables, etc) mais le livre en a l’intensité et devient un véritable page-turner, à l’image des romans d’Henning Mankell dont l’héroïne est friande.
La dernière partie est ainsi stressante au plus haut point et pourrait donner des leçons de tempo à bon nombre de « maîtres » du suspense.
Même s’il marche sur les plates-bandes du livre noir, Noces de verre est d’abord un portrait de femme. Comme dans son précédent livre, Pour une vie plus douce, Philippe Routier excelle à décrire le quotidien des gens ordinaires.
Khadija est une femme qui se retrouve déracinée dans son propre pays. Sa mère est décédée, son père est reparti vivre au Maroc. Elle n’a pas d’amis. Sa belle-famille lui reproche à demi-mot ses origines. Elle croyait avoir fondé une famille, mais son mari se révèle un véritable tyran. Sa seule voie de salut, c’est son fils, et c’est pour lui qu’elle s’accroche. Tout n’est pas noir chez Philippe Routier. Quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve, il reste toujours l’espoir.
Paul Martell
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