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No Sex, Tim Parks

Ecrit par Martine L. Petauton 08.05.14 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman

No Sex, traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez, février 2014, 268 pages, 22 €

Ecrivain(s): Tim Parks Edition: Actes Sud

No Sex, Tim Parks

 

 

Il est des livres qui nous attachent par une écriture sans pareille – celle qui ne parle qu’à nous ; d’autres par un format, une syntaxe qui nous agrippent ; d’autres encore, c’est une histoire, un récit comme on dit, « prenant » ; on peut encore succomber à des personnages, des lieux, un autre temps…

No Sex, c’est avant tout l’histoire, un documentaire parfaitement boulonné, animé, serré comme café noir, et – Tim Parks, et son art abouti ! – tout le reste en attelage…

No Sex emballe et tant, qu’on laisse volontiers le monde continuer sans nous ! Livre à part ; histoire à part, et une Beth anglaise (« tu as l’air d’un génie échappé d’une bouteille… les cheveux en bataille, de grandes dents… des nichons fantastiques ») unique dans le paysage romanesque.

La construction est simple : deux rives se regardent : la Beth du présent qui fait retraite dans un organisme bouddhiste ou approchant ; la Beth qui conjugue au passé, chanteuse dans un groupe de rock, ou similaire, et – pont invisible entre les deux – qui a connu un « événement de vie » si traumatisant, que vie et mort se sont tutoyées. Mémoires qu’on voudrait effacer, culpabilisation, déstabilisation frôlant l’effondrement ; souvenirs en flashs arrosés de gros son, d’alcool et de drogues… « no sex », là, était évidemment l’intrus. Avant, après. Une vie ballottée ; la nasse. Classique de l’univers littéraire.

Ce qui nous captive dès le début, et se décline de chapitre en chapitre (le manuel dasgupta la vie passana), c’est le cadre de la retraite et son fonctionnement ; c’est là, qu’on peut parler d’un documentaire presque exhaustif. On en sort, calé, peut-être tenté ou séduit, ou, au contraire, rebuté. En fait, on oscille. Le séminaire bouddhistico-oriental, c’est l’histoire du livre, et Beth nous sert de guide. « C’en est assez des affaires de ce monde ! J’attacherai mon esprit à la méditation en l’entraînant hors des mauvaises voies ». Écrit en exergue.

Silence pendant des jours ; transformation en bénévoles qui préparent les repas, et veillent au matériel le plus rebutant ; longues séances de méditation, les heures de Ferme résolution « dans la position du demi lotus très rassemblé… je ne remuerai pas jusqu’à ce que quelque chose bouge, jusqu’à ce que tout au fond de moi, quelque chose se brise ou s’ouvre ; je ne mangerai pas ne boirai pas ne pisserai pas, ne chierai pas… ». Interdiction absolue de tout contact physique ; « no sex », évidemment. On comprend bien ce que notre Beth et son paquet saturé de scène de musique acoustique cherche là : « je suis sortie de la salle de méditation, je n’ai fait qu’un avec les arbres… » ; on voit clairement se profiler comme en fond d’écran – étrange sfumato bien brumeux – son souvenir terrible – « je me suis jetée dans la vague elle s’est effondrée comme un mur », et, plus loin, évidemment, une trajectoire d’enfance un peu trouble, où sa place n’est pas encore trouvée. On la voit, la Beth silencieuse, méditante à toute heure, se dépêtrer, dans son passé amoureux – un peu de Marivaux, sauce très contemporaine. On se prend à douter avec elle – va se barrer ! À l’encourager – fais des efforts !

Ce serait un peu simple, et l’auteur est Tim Parks !

Le drap se lève à petits coups, magistralement, comme au théâtre. La nuit, ça bouge dans les cuisines – on vient piquer du rab ; certains vont fumer dans les toilettes ou consulter le net – poison interdit ; on se frôle, on s’épie, et même on se souvient (encore plus interdit)… Beth – pas la plus docile des stagiaires – découvre l’univers caché d’un homme – pas jeune – qui écrit son journal intime et dont elle vole l’esprit et la lettre. Allégorie de son passé amoureux et du père en surimpression ? Fenêtre ouverte sur l’extérieur, invitation (de Tim Parks, lui-même ?) à la liberté – et au libre arbitre – qui, seuls éclairent et peuvent résoudre ? Réponses non données, comme il sied aux meilleurs. Lecteur malmené : qui sont ces gens du centre, au fond ? on change sans arrêt de point de vue… Et tel stagiaire ? Et cette asiatique, Mi Nu, au châle éthéré « dont le visage éclaire la voie pour ceux qui sont en péril », à moins que…

Le centre, dont l’absolue lenteur apparente est censée protéger de la férocité des bruits du monde, est en fait, sous la lunette de Parks, et de Beth, agité de mouvements incessants, comme un microscopique univers d’insectes. Un dessous des choses. A l’extérieur, le monde, les autres, sont, contre toute attente, comme immobilisés dans un « arrêt sur images » lorgnant sur la fin du stage et la décision de Beth… L’évolution des deux rives, observées à différentes échelles. Un travail d’entomologiste, et – non moins – un remarquable travail d’écrivain, plume (ou scalpel) à la main.

 

Martine L Petauton


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A propos de l'écrivain

Tim Parks

 

Tim Parks, anglais, vivant en Italie. Auteur de nombreux romans et essais. Lauréat de nombreux prix. Enseignant et traducteur d’œuvres en Italien.

A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)