Nightmare Alley, William Lindsay Gresham (par Jean-Jacques Bretou)
Nightmare Alley, William Lindsay Gresham, Folio policier, novembre 2024, trad. anglais (États-Unis), Denise Nast, Marie-Caroline Aubert, 464 pages, 10,40 €

Ce livre publié pour la première fois en 1946 a toute une histoire. Porté une première fois au cinéma en 1947, sous le titre Le Charlatan, il fut à nouveau entre les mains d’un réalisateur en 2021, et reçut un accueil chaleureux du public sous l’appellation de Nightmare Alley. Les éditions Gallimard l’ont publié une première fois dans la Série Noire sous le titre Le Charlatan, et viennent de le rééditer en Folio Policier, sous la dénomination Nightmare Alley que l’on pourra traduire par Le Passage des Cauchemars.
Dans son intéressante préface, Nick Tosches nous raconte que l’auteur, William Lindsay Gresham, s’était engagé dans les brigades internationales pour lutter contre Franco, et en attendant son embarquement pour rentrer au USA, aurait bu des verres avec un dénommé Joseph Daniel Halliday. Ce dernier lui aurait raconté l’histoire d’un type que l’on surnommait « le geek », alcoolique au dernier degré qui pour pouvoir gagner sa ration d’alcool arrachait, dans un cirque, avec ses dents, des têtes de poulets et de serpents. Cette histoire hanta Gresham, alcoolique lui-même qui dans les années 1938-1939 écrivit son livre.
L’auteur n’est pas qu’alcoolique, il suit une longue analyse souhaitant par-là soigner son éthylisme, il ne supporte plus ces monstres venant le menacer dans ses rêves, et, enfin, il s’adonne à la tarologie. Ainsi les lecteurs pourront voir en filigrane évoluer une psychanalyste à l’âme particulièrement noire, et noter que le livre se structure autour des arcanes majeurs du tarot. Le premier chapitre est marqué par la figure du fou et le dernier par celle du pendu.
Enfin Gresham nous parle lui-même du langage de son livre :
« Le langage le fascinait. Son oreille attrapait le rythme et il notait certaines tournures de phrases qu’il réutilisait ensuite dans son boniment. Il avait découvert la raison pour laquelle les vieux machinistes forains affectaient de parler de cette manière traînante très particulière – c’était un ramassis de tous les dialectes des diverses régions de ce vaste pays. Un langage qui, aux oreilles des habitants du Sud, avait une résonance méridionale, et occidentale aux gens de l’Ouest. C’était le parler de la terre, et sa lenteur affichée servait à masquer l’agilité du cerveau qui lui donnait naissance. C’était une langue apaisante, illettrée, sortie de l’humus même ».
Nick Tosches dit à son propos : « Il évoque un lettré des caniveaux qui explore les étoiles en même temps qu’un lettré céleste qui explore les caniveaux ».
Ce livre nous conte donc l’histoire de Stan Carlisle qui, fasciné par le « geek » enfermé dans la cage d’une tournée foraine, finit par s’intégrer à la petite troupe errante. Ambitieux voulant plus que prédire l’avenir, il va se faire prédicateur. Le succès arrive en même temps que l’argent. Il lui faut toujours plus d’argent. Il va alors s’associer à une psychanalyste…
Presque aveugle, atteint d’un cancer de la langue, en 1962 Gresham exécute une dernière commande, un livre sur l’apprentissage du culturisme. Il se donne la mort la même année, à 53 ans, par overdose de somnifère.
Jean-Jacques Bretou
Né en 1909, William Lindsay Gresham a eu une vie marquée par la guerre, la maladie et l’alcoolisme. Très tôt, il accumule les petits boulots, essaye de se lancer dans la chanson et puis en 1937 il s’engage du côté des Républicains dans la guerre civile espagnole. De retour aux USA, il soigne au sanatorium une tuberculose et fait une tentative de suicide. En quête d’apaisement spirituel, il s’est notamment tourné vers le marxisme, la psychanalyse, le tarot et le bouddhisme. Il est l’auteur de deux romans, celui-ci, et Limbo Tower, de trois essais, dont un sur Houdini. Il s’est donné la mort en 1962.
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